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Cafetière

by GLC Lillebonne

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Et si vous étiez une cafetière ?
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Classes de premières GA et GI
Classes de secondes B et H
Imaginez juste un instant. Posez-vous pour y penser quelques minutes. Et si vous étiez une cafetière ? Pas une de ces cafetières modernes avec plein de boutons et de modes différents, pas une cafetière qui permet de sélectionner la température, la quantité, la variété de café que vous souhaitez. Non. Et si vous étiez une bonne vieille cafetière, une de celle que nos grand-mères utilisaient, et leurs grand-mères avant elles ? Cette cafetière dans laquelle vous versez votre café moulu et votre eau chaude. Vous appartiendriez à une petite famille, disons une famille des plus classiques. Un couple marié depuis près de vingt ans, avec deux enfant déjà assez grands, qui atteindront la majorité d’ici quelque années. Vous faites partie de cette famille depuis toujours, depuis que la grand-mère de Madame vous a légué à sa petite file lors de son emménagement dans son premier appartement.
Vous êtes donc une cafetière, héritée d’une grand-mère, vieille comme le monde. Vous avez votre place attitrée, sur le plan de travail de la cuisine. Entre le micro-ondes tout neuf (le précédent ayant sombré il y a peu) et la bouilloire que vous connaissez depuis que vous habitez cette place sur ce plan de travail. Tout les matins, vous servez avec plaisir à la préparation du café de Monsieur, de sa fille et de son fils (Madame ne boit que du thé). Tous les matins vous assistez au réveil de la petite famille. Puis, vous assistez au départ de tout ce petit monde, pour le travail, le lycée. Et le soir, vous resservez une petite tasse à Monsieur, mais seulement lorsque Madame n’est pas encore rentrée (le café empêche de dormir, voyons!). Enfin, parfois, le week-end, vous servez à maintes reprises lorsque les parents de Monsieur ou Madame sont là pour dîner, et qu’ils souhaitent finir leur repas avec un peu de ce nectar sombre.
Vous êtes donc une cafetière, héritée d’une grand-mère, vieille comme le monde. Vous avez votre place attitrée, sur le plan de travail de la cuisine. Entre le micro-ondes tout neuf (le précédent ayant sombré il y a peu) et la bouilloire que vous connaissez depuis que vous habitez cette place sur ce plan de travail. Tout les matins, vous servez avec plaisir à la préparation du café de Monsieur, de sa fille et de son fils (Madame ne boit que du thé). Tous les matins vous assistez au réveil de la petite famille. Puis, vous assistez au départ de tout ce petit monde, pour le travail, le lycée. Et le soir, vous resservez une petite tasse à Monsieur, mais seulement lorsque Madame n’est pas encore rentrée (le café empêche de dormir, voyons!). Enfin, parfois, le week-end, vous servez à maintes reprises lorsque les parents de Monsieur ou Madame sont là pour dîner, et qu’ils souhaitent finir leur repas avec un peu de ce nectar sombre.
Vous menez donc une vie paisible, vous vous sentez utile et indispensable à cette famille. Comment pourraient-ils boire leur café sans vous ? Pourtant, un jour, on vous déplace soudainement, on vous arrache à cette place qu’a toujours été la votre sur ce plan de travail que vous avez toujours connu. Et brusquement, tout est noir. Vous vous retrouvez dans un placard, au milieu des casseroles. En un éclair, vous êtes remisée, oubliée.
Et, lorsque Madame (ou Monsieur, vous n’êtes pas sûre) ouvre la porte de ce placard pour y remiser une poêle fraîchement lavée, vous l’apercevez. Cette cafetière dernière génération, ultra moderne, tout ce que vous n’êtes pas. Une de ces cafetières modernes avec plein de boutons et de modes différents, pas une cafetière qui permet de sélectionner la température, la quantité, la variété de café que vous souhaitez. Elle est là, sur le plan de travail de la cuisine. Elle a pris votre place. Et vous vous êtes dans ce placard, au milieu des casseroles, remisée. Et le placard est refermé, la nouvelle cafetière disparaît, vous laissant là.
Vous ne savez pas combien de matins passent, combien de cafés sont servis à Monsieur et à ses enfants. Mais un de ces matins, vous êtes de nouveau déplacée. Et de nouveau placée dans le noir. Mais cette fois-ci, vous avez changé de pièce. Vous êtes dans la cave. Cette fois-ci, vous êtes au milieu des objets indésirées. Vous êtes entre ce vieux balai auquel il reste seulement quelques poils et ce micro-ondes qui a autrefois été votre voisin. Ce micro-ondes qui est déjà là depuis des années. Et dont le sort est très semblable au votre. Vous n’avez plus aucun espoir de retrouver votre place sur ce plan de travail. Vous n’aurez plus jamais le plaisir de servir le café à tout la petite famille tous les matins. Ni même aux parents de Monsieur ou Madame. Vous ne serez plus jamais utile. Parce que vous savez bien. Vous savez bien que, si vous êtes rentrés dans cette pièce, vous n’en ressortirez pas. Vous savez bien que tous les objets de cette pièce sont voués à sombrer dans l’oubli, et à rester ici jusqu’à ce que la maison soit vendue, ce que la famille n’a pas vraiment en tête. Vous savez bien que, si la maison est vendue, vous aurez déjà sombré dans la solitude et dans la folie depuis longtemps.
Vous n’avez donc plus qu’à espérer que cette folie s’empare de vous au plus vite. Qu’elle vous emporte rapidement vers d’autres contrées. Car vous êtes persuadée que rien ne peut être pire que cette pièce, cette pièce si sombre dans laquelle vous êtes vouée à finir votre pauvre vie de cafetière. Vous vous rassurez en voyant le micro-ondes, qui semble avoir déjà atteint depuis un certain temps cette folie. Vous vous rassurez en vous disant que vous n’avez que quelques années à tirer avant que s’ouvrent les portes des songes fous.
Vous ne savez toujours pas combien de matins passent, combien de cafés sont servis à Monsieur et à ses enfants. Mais, un matin, vous entendez la porte grincer, et vous voyez une main surgir, une main qui vous empoigne. Ainsi vous avez déjà atteint votre but, et vous avez sombré dans la solitude. Vous vous dites que c’était rapide, vous n’avez vraiment pas vu le temps passer. Et puis vous voyez le visage de la personne à qui appartient cette main qui vous empoigne. 
Et vous savez que vous n’avez pas encore sombré. C’est la fille de Monsieur et Madame. C’est l’Aînée. Comme elle a grandi. La dernière fois que vous l’avez vu, la dernière fois que vous lui avez servi son café du matin, elle venait d’entrer au lycée. Vous le savez car à côté de sa tasse de café se trouvait son cahier. Et sur ce cahier il était clairement écrit, de sa plus belle écriture (qu’elle a belle dans tous les cas) « seconde ». Et vous avez assez entendu de conversations depuis tout ce temps que vous servez des cafés pour savoir de « seconde » équivaut à « première année de lycée ».
Vous ne comprenez pas pourquoi l’Aînée est venue vous chercher. Vous vous questionnez, vous cherchez au plus profond de votre mémoire si vous avez déjà entendu une conversation, ou vu quelque chose qui pourrait vous aider à comprendre. Mais rien ne vient. Rien. Vous continuez à vous poser des questions jusqu’à ce que le noir soit de retour. Vous êtes à nouveau dans les ténèbres. Et puis vous vous rendez peu à peu compte que vous êtes dans un carton. Au milieu de petites cuillères et d’assiettes dépareillées. Vous entendez du bruit, beaucoup de bruit.
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