Poèmes de prisonniers d'après Th. de Viau

Le Mot des profs

Dans le cadre du cours de français, les élèves sont invités, au collège comme au lycée, à lire des oeuvres littéraires patrimoniales et à se les approprier par un travail personnel. Le livre est un vecteur de réflexion sur le monde contemporain et sur l'Histoire, sur soi et sur les autres, sur une esthétique. Dans ce temps lent et intime, l'élève est amené à donner son avis et son ressenti sur l'oeuvre.

Le projet, qui a réuni les élèves de 4e2, 4e3 et 4e6 du collège Montsauvy à Orgon (13) et les secondes 202 du lycée Charlie Chaplin à Décines (69), a commencé par une lecture subjective du recueil des Ecrits de prison de Théophile de Viau, un poète du XVIIe siècle condamné pour son libertinage (au sens du XVIIe siècle, donc surtout de liberté de pensée par rapport à l'imposition du dogme catholique).

Après s'être imprégnés de cet auteur classique, les élèves ont été progressivement conduit à choisir un prisonnier et à inventer son histoire à partir d'une thématique que l'élève avait envie de creuser. Seul ou en binôme, ils ont ainsi écrit des poèmes à la manière de Théophile de Viau. Les images de l'Enfer, le sentiment de délaissement et de trahison, l'adresse à un proche ou les marques de révolte sont autant de traces de lecture que les élèves ont réinvesties dans l'écriture.

Grâce à une réflexion sur les prisons au XXIe siècle, ils ont actualisé le propos de Théophile et vous livrent leur point de vue sur l'enfermement, les actes qui y conduisent, les sentiments ressentis face à l'injustice, avec leurs mots, leurs vers, leurs images et leurs références d'adolescents du XXIe siècle.

Caroline Allingri-Machefer et Claire Augé

Préface

De nombreux poètes de par le monde et de par les siècles, lorsqu’ ils étaient incarcérés, ont écrit. La lecture de nombreux textes, de Théophile de Viau à Li Bifeng toujours en prison à ce jour, nous a menés à nous questionner : le poète incarcéré n’écrit-il que pour exprimer sa douleur ?
Pour répondre à cette question, nous observerons tout d’abord que les poètes écrivent souvent pour exprimer une douleur certaine associée à l’emprisonnement. Dans un second temps, il s’agira cependant de nuancer notre propos : les poètes n’écrivent pas toujours leur souffrance mais au contraire utilisent l’écriture poétique à d’autres fins.

Cela nous amènera à nous demander quel est le rôle de la poésie pour un poète incarcéré. Emprisonné, le poète est privé de liberté ; il est coupé du monde. En découle une profonde souffrance qui transparaît souvent dans ses textes. C’est ce que nous étudierons dans un premier temps : cette douleur peut être intime ou collective voire se transformer en l'angoisse d’un avenir funèbre.

Dans de nombreux poèmes écrits en prison, le poète exprime sa douleur personnelle, liée à la séparation avec ses proches. Ses poèmes témoignent d’un profond mal-être. Ainsi Théophile de Viau dans ses Ecrits de prison exprime une profonde tristesse. On le voit par exemple dans l’exemple suivant : « Dedans ce commun lieu de pleurs/ Où je me vis si misérable » (« Requête de Théophile au Roi »). Dans ces vers, la prison est associée aux « pleurs » et l’intensif renforce l’adjectif « misérable » exprimant la détresse du poète.

Cette douleur est associée à un manque puisque la prison est un lieu de privation. Li Bifeng écrit à son fils, témoignant de sa volonté de le revoir : « Pour déposer un baiser de sang sur ta mémoire » (« Mon fils »). Le baiser est impossible depuis sa prison, la poésie exprime ce manque cruel pour le père. De même, le poète Breyten Breytenbach écrit à sa femme « Très aimée » dont il est séparé pendant son incarcération. Si la famille manque au poète, la liberté disparue est également une cause de douleur. Nazim Hikmet dans son poème « Dimanche » publié dans le recueil Il neige dans la nuit regarde le ciel et le soleil dont il est privé et qu’il ne peut contempler depuis le trou où il est enfermé. Ciel et soleil deviennent les symboles d’une liberté perdue. Enfin, le poète souffre du mal du pays. Ainsi, Charles d’Orléans, prisonnier de guerre en Angleterre, pleure la France car il se souvient « de la douce Plaisance » dans son poème, « En regardant vers le pays de France ». Exilé pendant vingt-cinq ans malgré lui, sa douleur est étroitement liée à son amour pour la France dont la prison le prive.

Si la douleur est intime par le manque des proches, de la liberté et par le mal du pays, la douleur exprimée par le poète peut également être collective. De nombreux poètes ont été emprisonnés pour des raisons politiques. Engagé, le poète exprime son amour pour son peuple et sa douleur de le voir privé de sa liberté. Ainsi Mahmoud Darwisch, poète palestinien, exprime dans son célèbre poème « Carte d’identité » son attachement au peuple palestinien. Lorsqu’il écrit « je suis arabe », le « je » devient collectif : « Inscris/ je suis arabe / Tu m’as spolié des vignes de mes ancêtres / et de la terre que je cultivais/ avec tous mes enfants/ et tu ne nous as laissé / ainsi qu’à notre descendance / que ces cailloux / Votre gouvernement les prendra-t-il aussi / comme on le dit ? ». Ces vers font entendre un cri de colère du peuple palestinien, accusant le « tu » de le priver de liberté.

Cette douleur collective se fait entendre dans les poèmes de François Villon à travers la présence d’un « nous » qui évoque ses frères, les pendus. La douleur exprimée par le poète est également tournée vers un avenir qui s’annonce sombre. François Villon évoque dans son célèbre poème « Ballade des pendus » la pendaison en la concrétisant de manière très précise, au présent, prêtant sa voix aux pendus : « Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,/Et arraché la barbe et les sourcils ». André Chénier écrit également lors de son emprisonnement. Dans son texte transparaît la peur de l’exécution à venir : « Au pied de l'échafaud j'essaye encor ma lyre./ Peut-être est-ce bientôt mon tour ». La peur ne cesse de s’exprimer dans les textes, associée à une profonde douleur.

Les poètes incarcérés expriment une douleur : douleur intime liée à un mal-être, à un manque qui peut se décliner – proches, liberté, pays - ou à une peur de la condamnation voire de l’exécution à venir. La prison est un lieu où le poète tourne en rond dans sa douleur. Cependant, la lecture de plusieurs textes permet de remarquer que l’écriture poétique n’exprime pas uniquement cette douleur. Ce sera l’objet de notre second temps. Nous verrons tout d’abord que le poète exprime parfois une certaine joie, se fait observateur de la vie carcérale ou écrit pour maintenir un lien avec ses proches et dépasser les murs.

Tout d’abord, certains textes écrits en prison donnent à lire une certaine joie. Ainsi, Nazim Hikmet dans son poème « Dimanche » évoque un plaisir intense qu’il ressent un jour de promenade à l’idée de revoir le ciel et le soleil : « En cet instant, pas question de gamberger./ En cet instant, ni combat, ni liberté, ni femme./ La terre, le soleil et moi./Je suis heureux. » Le poème se clôt, dans la traduction française, sur cet adjectif « heureux ».

Les nombreuses négations soulignent que le poète oublie tout, se perdant dans une contemplation béate de retrouver la terre et le soleil. Le texte témoigne d’un instant de joie associé à son incarcération. Cette joie peut prendre la forme d’une certaine fierté. Mahmoud Darwisch est fier d’être arabe : « je suis arabe » dans « Carte d’identité ». Il est ainsi martelé cinq fois, prenant la forme d’un cri de ralliement et de fierté face à l’adversité. Les textes clament la volonté de rester debout. L’engagement, la fierté s’expriment dans les poèmes, montrant des poètes qui refusent une douleur écrasante. Un vent de liberté semble souffler dans ces expressions heureuses.

Le poète incarcéré prend également un rôle de témoin. Il raconte la réalité de la prison qu’il décrit avec précision à la manière d’un observateur. Théophile de Viau dans ses Ecrits de prison évoque les « serpents dans sa couche ». Albertine Sarrazin évoque un « carreau qu’[elle] a cassé » dans un poème écrit à Fresnes « Il y a des mois que j’écoute...». Enoh Meyomesse évoque dans son poème « La pancarte » cette pancarte qui lui a été accrochée au cou. Son poème est pudique et témoigne d’une pratique humiliante qui lui a été infligée : « Elle pendait à mon cou/ la pancarte maudite / elle pendait / lourdement / et les caméras des télévisions / et les regards des badauds / et les yeux des gens / à travers la Terre entière / lisaient / médusés / mon nom / sur celle-ci ». Le poète écrit pour témoigner d’une réalité.

Le poète écrit également pour maintenir un lien avec les siens : ses poèmes se font lettres. Ainsi, les poèmes de Théophile de Viau sont toujours adressés à quelqu’un : son ami Tircis dont il sollicite l’aide ou encore son frère. Breyten Breytenbach écrit à sa femme : « Très-aimée, je t'envoie/ une tourterelle vermeille/ car personne ne tire sur / un messager /rouge/ Je lance haut dans l'air/ ma tourterelle vermeille je sais/ que tous les chasseurs / la prendront pour le soleil ».

Dans cette première strophe, le poème est représenté sous la métamorphose d’une « tourterelle » oiseau symbolisant non seulement la liberté mais aussi l’amour qui devient un message lancé « haut dans l’air ». Le poème est envoyé à un destinataire précis : « je t’envoie ». Les poèmes sont ainsi souvent adressés à un « tu » proche à l’écoute de la parole éloignée du poète incarcéré.

Les poètes n’expriment pas uniquement leur douleur dans leurs écrits produits en prison : des moments de joie peuvent en effet apparaître. L’écriture se veut également témoignage ou échange avec les êtres chers. Cette écriture poétique invite à nous questionner : pourquoi le poète écrit-il lorsqu’il est incarcéré ? L’écriture poétique est une écriture particulière qui joue avec la langue : souvent en vers, elle joue avec les blancs du texte, rejetant des mots à la ligne, et sur une certaine mélodie. Elle est une écriture libre ... qui tend alors à contraster significativement avec la condition du poète incarcéré qui ne peut se mouvoir voire même que l’on tente d’empêcher de réfléchir – comme c’est le cas pour de nombreux poètes enfermés en raison d’un engagement politique. Les poèmes se font alors résistance. Nous verrons dans un premier temps que l’écriture poétique fonctionne à la manière d’un exécutoire puis nous verrons que l’écriture poétique peut se faire arme de justice.

En effet, l’écriture poétique semble offrir au poète un exutoire, lui proposant une sorte de thérapie. Ainsi, lorsque Li Bifeng écrit à son fils, il exprime un amour qu’il ne peut exprimer, ne pouvant serrer son enfant dans les bras. « Mon fils, tu es dans le cœur de papa », écrit-il à défaut de pouvoir lui dire. La poésie tend à rendre possible la rencontre et ici la présence de l’autre. Si Li Bifeng semble se consoler à travers le pouvoir démiurgique de l’écriture poétique, Théophile de Viau, lui, semble se libérer d’une colère certaine. Il mord et il attaque. Il reproche par exemple à son ami Tircis de lui avoir tourné le dos lorsqu’il avait besoin d’aide. La poésie semble opérer un rôle de catharsis pour les poètes, les libérant de leurs tourments.

Les élèves de seconde 202