De l’ombre à la lumière 

Mauthausen, printemps 1944 Voilà bien le résultat de la quarantaine ! Quand on y entre, on est un homme, quand on en sort, on est une brute, un être qui ne pense plus, qui n'obéit plus qu'à ses instincts et à ses passions, un animal excité par la faim et les coups de trique ! Il m'est impossible d'exprimer les sentiments qui bouillonnent en moi quand je réfléchis à cette vie qui est actuellement la nôtre au bloc. Toute la journée n'est qu'un continuel supplice et j'entends par journée autant la nuit que le jour, quelquefois davantage encore que le jour ! Voici en effet dans quelles conditions on se repose : dans deux salles de dix à douze mètres de long sur six mètres de large, il faut coucher à cinq ou six cents voire même plus encore ! C'est impossible ! Non ! Tout est possible en quarantaine et le nerf de bœuf se charge de le faire comprendre aux plus récalcitrants ! Quand les paillasses sont étendues sur le plancher, nous entrons en file indienne, nos vêtements à la main. C'est le chef de bloc qui dirige les opérations ; schlague en main, il nous fait disposer en sardines, chacun ayant devant son nez les pieds de son voisin ! Mais les sardines elles, sont encore moins serrées que nous ! Elles sont allongées sur le dos, alors que nous, nous devons nous étendre sur le côté et nous coller l'un contre l'autre sans laisser le moindre intervalle ! D'ailleurs, la sombre brute qui nous commande ne ménage pas les coups et chacun se fait aussi mince qu'il le peut pour ne pas trop les recevoir. Quand les trois files sont placées, souvent il faut encore se serrer davantage, car il arrive qu'il en reste une vingtaine à placer ! C'est alors que le schlague marche et se charge de faire de la place ! On nous donne ensuite les couvertures : une pour trois ! C'est-à-dire qu'il faut couvrir les pieds de vos voisins avec la même couverture qui vous protège la poitrine ! Chose impossible si vous ne voulez pas vous couchez la tête sous la couverture et dormir ainsi dans un étouffoir ! Et les disputes commencent, chacun traitant son voisin de tous les noms, dans sa propre langue ! Coups de poing, coups de genou, bourrades, dans tous les coins de la salle on se bat. Cela ne dure pas longtemps, heureusement ! Le chef de bloc attiré par le chahut réapparaît avec la trique ou la schlague, en assène une dizaine de coups sur le premier pauvre type qu'il voit remuer ou parler, ou sur une dizaine à la fois et tout le monde atterré se tait. . . Chacun s'efforce alors de dormir, mais heureux sont ceux qui y parviennent, au bout d'une heure on se réveille déjà ! On étouffe de chaleur, on a les pieds écrasés par le dos du voisin qui prend ses aises ! On a mal au rein droit et on voudrait changer de côté, on sent son bras paralysé ou fatigué par le poids de la tête qui repose dessus, puis le genou du copain qui vous comprime le ventre parce qu'il s'est mis subitement en chien de fusil, ou bien on vient de recevoir un coup sur la tête ou sur la pointe des pieds, c'est un gars qui se fraye un passage entre les files pour essayer d'atteindre la porte et les W-C. Bref, tout notre pauvre corps au lieu de se reposer est au supplice toute la nuit, à tel point qu'on est heureux d'entendre le « debout » dès cinq heures du matin Raymond

Le Génocide annoncé&nbsp; Adolf Hitler parle très tôt… Bien avant Mein Kampf, publié en 1925. En 1922, le journaliste Josef Hell, ancien poilu de 1914, demande à Hitler&nbsp;: «&nbsp;Que ferez-vous des juifs quand vous aurez les pleins pouvoirs&nbsp;?&nbsp;» Lorsque que je serai réellement au pouvoir, ma toute première tâche consistera à annihiler les juifs. Dès que j’aurai la possibilité de le faire, je ferai construire – à la Marienplatz de Munich par exemple – autant de rangées de potences que la circulation le permettra. Puis les juifs seront pendus sans discrimination et ils resteront pendus jusqu’à ce qu’ils puent. Ils resteront pendus tant que les principes d’hygiène le permettront. Dès qu’on les aura détachés, ce sera au tour de la prochaine fournée, et ainsi de suite jusqu’à ce que le dernier juif de Munich ait été exterminé. On agira séparément de même dans d’autres villes jusqu’à ce que l’Allemagne ait été complètement nettoyée des juifs.

Le port de l’étoile et le temps des rafles &nbsp; Je ne voulais pas porter l’étoile, mais j’ai fini par le faire, trouvant lâche ma résistance. Il y a eu d’abord deux petites filles avenue de La Bourdonnais qui m’ont montrée du doigt. Puis, au métro à L’Ecole militaire (quand je suis descendue, une dame m’a dit : “Bonjour, mademoiselle”), le contrôleur m’a dit “Dernière voiture”. Alors, c’était vrai le bruit qui avait couru hier. Cela a été comme la brusque réalisation d’un mauvais rêve. Le métro arrivait, je suis montée dans la première voiture. Au changement, j’ai pris la dernière. Il n’y avait pas d’insignes. Mais rétrospectivement, des larmes de douleur et de révolte ont jailli à mes yeux, j’étais obligée de fixer quelque chose pour qu’elles rentrent. Je suis arrivée dans la grande cour de la Sorbonne à deux heures tapantes. J’ai souffert, là, au milieu de tous mes camarades. Il me semblait brusquement que je n’étais plus moi-même, que tout était changé, que j’étais devenue étrangère, comme si j’étais en plein dans un cauchemar. Je voyais autour de moi des figures connues, mais je sentais leur peine et leur stupeur à tous. C’était comme si j’avais eu une marque au fer rouge sur le front. J’étais naturelle, superficiellement. Mais je vivais un cauchemar. &nbsp; Hélène Berr,&nbsp;Journal, 1942-1944

L’amour du prisonnier de guerre Joseph et Lyne vivent à Paris en 1939&nbsp;. Joseph est représentant de commerce. Leur fils Jean-Michel a cinq ans. Au terme de la bataille de France, Joseph est prisonnier de guerre dans un stalag autrichien. Lyne et Jean-Michel vont porter l’étoile jaune, mais échapperont aux rafles… Joseph reviendra de son stalag en juin 1945. Ma Lyne chérie, La troisième année de notre séparation approche de sa fin. Déjà trois ans&nbsp;! Tu ne peux pas t’imaginer comme la séparation et la captivité changent un homme, moralement et physiquement. C’est un être nouveau que tu recevras, que tu verras en d’autres lieux que chez nous. C’est peut-être aussi une femme nouvelle que je retrouverai. Ne crains rien, chérie, j’entrerai doucement, sans bruit, pour ne pas troubler tes nouvelles habitudes. Il m’appartiendra de me laisser guider, d’écouter tes conseils, toi aussi tu auras souffert. Si tout entre dans l’ordre, tu sauras me faire oublier cette pénible aventure, tu auras le souci de me faire revivre les joies du foyer et de me donner l’illusion&nbsp;que cette absence ne fut qu’un mauvais rêve… &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;Joseph

Flash black

Dans le cadre d’un projet intitulé «&nbsp;De l’ombre à la lumière&nbsp;», les élèves de 3C ont étudié le recueil de Jean-Pierre Guéno, Paroles de l’ombre, y ont choisi des lettres et les ont retranscrites sous formes de planches de BD. Ce travail de mémoire mené par Mmes De Clercq, Gaillard, Grillon et Hollingue, a pu être réalisé grâce à la précieuse contribution de Monsieur Guillaume Magni, auteur de BD et membre de l’association On a marché sur la bulle.

La Pologne&nbsp;Assassinée «Si&nbsp;nous ne nous sommes pas effondrés&nbsp;en 1939 cela est dû au fait que, pendant la campagne de Pologne, les quelques&nbsp;cent-dix divisions françaises&nbsp;et&nbsp;britanniques&nbsp;à&nbsp;l'ouest ont été maintenues&nbsp;dans une inaction complète en face&nbsp;vingt-trois divisions allemandes.&nbsp; &nbsp;Général Alfred&nbsp;Jold Chef d’état-major des opérations de guerre Le succès contre la Pologne n’a été&nbsp;rendu possible qu’en dégarnissant&nbsp;presque complètement notre frontière ouest. Si les Français avaient saisi&nbsp;la&nbsp;chance offerte&nbsp;par&nbsp;l’&nbsp;engagement de presque toutes nos forces en Pologne, ils auraient pu traverser le&nbsp;Rhin&nbsp;sans&nbsp;que nous soyons capables de les&nbsp;en&nbsp;empêcher&nbsp;et&nbsp;auraient&nbsp;menacé la Ruhr, d'une importance décisive&nbsp;pour notre conduite de la guerre.&nbsp;» Général&nbsp;Franz&nbsp;Halder Chef d’état-major de l’armée allemande

Tous aux abris... Raymond Ruffin a dix ans en 1939. Pendant toute la guerre, il écrit le journal de sa vie quotidienne dans ses cahiers d’écolier : celle d’un enfant qui vit dans un village du Calvados ou à Vincennes, en banlieue parisienne, les sombres heures du rationnement et des cartes d’alimentation. &nbsp; Les sirènes font entendre leur hurlement strident. Alerte ! Nous nous préparons en hâte à rejoindre les abris. Nous enfilons manteaux et pardessus ; Claudie est arrachée à son lit et roulée dans une couverture ; c’est à peine si elle se réveille ! Dans l’escalier, nous retrouvons les voisins, chacun se presse vers les sous-sols désignés. Dans la rue, les agents de la Défense passive activent les petits groupes vers les porches protecteurs portant l’inscription : &lt;&lt; Abris n° X &gt;&gt;. Le ciel s’illumine des pinceaux mouvants des projecteurs recherchant les avions alliés. Au loin, de sourds grondements retentissent : quelque pièce de DCA en action. Nous traversons le hall sombre, côtoyant des silhouettes floues, pour nous engager dans l’escalier de pierre mal éclairé. Les couloirs suintent d’humidité ; une désagréable odeur de moisi flotte sous les voûtes. Tant bien que mal, nous voilà casés dans un coin, mais c’est un problème que de trouver une place sur les trois ou quatre bancs disposés sur les côtés. Certains prévoyants ont apporté des pliants ou des chaises de toile et s’installent le plus commodément possible. Les deux ampoules jaunes qui pendent au plafond dispensent une lumière blafarde ignorant les recoins et les allées.&nbsp; &nbsp; Raymond Ruffin

Je trahirai demain&nbsp; La famille allemande de Marianne Cohn fuit les persécutions nazies dès 1934. Elle s'exile en Espagne, puis en France. Marianne rejoint la Résistance, et exfiltre vers la Suisse des enfants juifs... Arrêtée le 31 mai 1944, alors qu'elle&nbsp;convoie vingt-huit enfants, elle refuse d'être libérée par la Résistance, craignant une vengeance contre ses protégés. Elle est torturée et assasinée au début de juillet 1944 par la Gestapo. Un an auparavant, au cours d'une première incarcération de trois mois à Nice, elle rédige ce poème. Je trahirai demain, pas aujourd'hui. Aujourd'hui, arrachez-moi les ongles Je ne trahirai pas ! Vous ne savez as le bout de mon courage. Moi, je sais. Vous être cinq mains dures avec des bagues. Vous avez aux pieds des chaussures avec des clous. Je trahirai demain. Pas aujourd'hui, Demain. Il me faut la nuit pour me résoudre. Il ne me faut pas moins d'une nuit Pour renier, pour abjurer, pour trahir. Pour renier mes amis, Pour abjurer le pain et le vin, Pour trahir la vie, Pour mourir. Je trahirai demain. Pas aujourd'hui. La lime est sous le carreau, La lime n'est pas pour le bourreau, La lime n'est pas pour le barreau, La lime est pour mon poignet. Aujourd'hui, je n'ai rien à dire. Je trahirai demain. Marianne Cohn Poème écrit en cellule en novembre 1943

L’évasion... Résistants communistes, France et Lucien Hamelin sont arrêtés en août 1943 à Paris. Lucien est déporté à Buchenwald tandis que France est internée, enceinte, à la Petite Roquette puis aux Tourelles.Elle accouche en avril 1944 et finit par réussir à s’échapper avec son bébé de l’hôpital où elle était enfermée, déguisée en infirmière. Il ne reste plus qu’à m’habiller. La chemise et le manteau bleu de l’hôpital sont si amples que je peux parfaitement porter tous mes habits dessous à condition de bien tenir mon col fermé. Un seul ennui : la visite du docteur. Il passe plus tôt d’habitude. Et il se peut qu’il demande à voir mon sein... Le chariot grince dans le couloir avec son chargement de choux et de bière. Et voilà que le docteur arrive avec sa cour d’internes, de sages-femmes, d’infirmières ! Heureusement, il est pressé. Tout va très bien ! Personne n’est malade. Ouf ! Je ne peux pas manger. J’ai une boule dans la gorge. Michou piaille, il ne se doute de rien. Je ne devrai l’habiller qu’au tout dernier moment, parce que, lui, ça se verrait. [...] C’est l’heure. Les « visites » commencent à partir, lentement. Je vais tout droit au berceau, soulève Michou et travaille à le vêtir. Travaille, c’est le mot. Chaque fois qu’il s’agit d’enfiler une manche, ses menottes s’accrochent à la laine. Impossible de la faire glisser, et je ne peux pourtant pas lui casser les doigts pour aller plus vite... Lui a essayé de crier, puis s’est tu, suffoqué de surprise. Marcel me sert de paravent et répète : « Ne t’énerve pas, ne t’énerve pas, prends ton temps, là... » Mais moi je m’énerve, parce que j’entends les infirmières arriver pour prendre les poupons, un sous chaque bras, comme d’habitude. C’est l’heure de la pesée qui précède la tétée. L’heure, ou presque. Elles sont en avance, aujourd’hui. Enfin, ça y est. Je remonte les couvertures sur Michou tandis que l’autre main je fais tomber chemise et manteau d’hôpital. Hop ! Sous le lit. J’attrape Michou, et en route ! Tout cela n’a demandé que très peu de temps. La salle est muette, tous les regards sont tournés vers nous. « Marche droit devant toi, ne t’occupe pas de ce qui se passe derrière. » J’obéis à Marcel. Je fonce. La cape est trop petite et Michel trop gros dans tous les lainages dont je l’ai affublé. Il ne peut pas passer inaperçu ! Tant pis ! Trop tard pour envisager autre chose. Je fonce... Je m’essouffle. Je cours. Mes jambes tremblent. Je cours. Vais-je tomber ? Il ne faut pas ! Et Michou ? Je cours. Mais il va falloir ralentir, ou je vais m’écrouler avec mon Mich’. Mes jambes ne me portent plus. Des pas derrière ! Des pas rapides. On court. J’essaie d’aller plus vite. Impossible. C’est Marcel... où les autres ? Je ne peux pas me retourner. Qu’importe. Les jeux sont faits. Je cours... Une main m’agrippe. C’est Marcel. « Ma pauvre vieille, j’ai cru que tu allais te flanquer par terre... Va, le plus gros est fait. On va marcher rapidement, mais sans courir, vers la sortie. » Pourtant, moi, j’ai hâte. Je ne peux m’empêcher, j’ai hâte. Je bouscule quelques vieilles femmes qui encombrent le passage. Marcel les redresse à mesure et répand les excuses... Que c’est long ! Ah ! Le porche... Ah ! Dehors ! France Hamelin

Mes bien&nbsp;chers frères, Des scènes douloureuses et parfois horribles se déroulent en France, sans que la France en soit responsable. A Paris, par des dizaines de milliers, des juifs ont été traités avec la plus barbare&nbsp;des sauvagerie. Et voici que dans nos régions on assiste à un spectacle navrant&nbsp;: des familles sont disloquées&nbsp;;des&nbsp;hommes et des femmes sont traités comme un vil troupeau, et envoyés vers une destination inconnue, avec la perspective des plus graves dangers. Je fais entendre la protestation indignée de la conscience chrétienne et je proclame que tous les hommes, aryens ou non aryens, sont frères parce que crées par le même Dieu&nbsp;; que tous les hommes, quelles que soit leur race ou leur religion, ont droit au respect des individus et des Etats. Or les mesures antisémites&nbsp;actuelles, sont au mépris de la dignité humaine, une&nbsp;violations&nbsp;des droits les plus sacrés de la personne et la famille. Que Dieu console et fortifie ceux qui sont uniquement persécutés&nbsp;! Qu’il accorde au monde la paix véritable et durable, fondée sur la justice et la charité. Pierre Marie Évêque de Montauban

Mourir sans avoir aimé... Issue d’une vieille famille bourgeoise lyonnaise, Denise Domenach entre dans la Résistance en 1940, à l’âge de seize ans, sous le nom de Duplessys. Pendant toute la guerre elle rédige son journal intime sur des cahiers d’écolier qui parlent de tout sauf de sa résistance, au cas où ils tomberaient entre des mains ennemies... Mardi 27 janvier 1942 Le cardinal Gerlier a fait un appel pour que les gens ne dansent plus parce que la danse est une insulte à la soufrance et à la douleur. Mademoiselle Marie-Louise Belmont, la grande directrice qu’on ne voit jamais, m’a fait appeler ; elle voulait que j’use de l’infuence que j’ai sur mes camarades pour leur dire de ne plus aller danser. Je me suis débattue et j’ai plaidé notre cause avec tant de chaleur qu’elle a fni par autoriser les leçons de danse, mais pas les sauteries. De toute façon, je ne vois pas bien de quoi ils se mêlent. Il y a des choses plus urgentes à dire et à faire pour la France et pour ceux qui soufrent. Et puis il y a déjà assez de choses qui nous gâchent la vie sans qu’on vienne encore en rajouter. Quelquefois je me dis que si la guerre continue encore longtemps je vais en mourir sans avoir vécu, sans avoir aimé. Vendredi dernier il a fait -17°C. On ne trouve plus de légumes et tout le monde pense qu’on va crever de faim et de froid. Mes parents sont contre le marché le noir, mais Maman fait du troc avec les tickets de tabac. Dans beaucoup de familles, chacun a son sac à pain avec sa ration, mais chez nous Papa n’a pas voulu. Il nous a dit que c’était à chacun de se restreindre et que c’est comme ça qu’on apprend la fraternité. Il est furieux que Pétain ait changé la devise de la République. Il trouve que « Travaille, Famille, Patrie » c’est mesquin. Il a bien raison.

La vengeance du milicien On tombe sur une patrouille allemande qui se met en batterie sur nous. Aussitôt j’ai crié « Franzosische Miliz », ils ont compris. Je me suis expliqué avec leur sous-officier, qui s’est mis à ma disposition pour attaquer en ligne de bataille, je l’ai guidé et sur mes renseignements nous avons fouillé la campagne ; après avoir patrouillé, je lui ai dis que le type était caché dans les bois sans doute ; il m’a remercié et nous sommes partis chacun de notre côté. On est très estimés des Allemands et quand ils nous voient ils viennent tous nous serrer la main. Dans la nuit d’avant-hier nous avons pris trois types. J’étais couché et on et on m’a fait lever à ce moment. On est partis à trois dans la nature et à un croisement de chemins on les a fait passer devant, on a armé nos mitraillettes et sans rien leur dire on leur a lâché des rafales dans le dos. Ils sont tombés sans faire « ouf » ; ensuite j’ai pris mon parabellum et je leur ai tiré une balle à chacun dans la tempe. J’étais content comme tout et c’est une petite vengeance bien minime à côté de ce qu‘on leur doit. Extrait de lettre d’un milicien saisie par la Résistance

De la montée du nazisme à la fin de la 2e Guerre mondiale

Tragique anniversaire Michèle a cinq ans. Après avoir été torturé une semaine dans les locaux de la Gestapo à Grenoble, son père est envoyé à Drancy, puis déporté dans différents camps, dont celui de Mauthausen. Il sera libéré en mai 1945 ne pesant que trente-six kilos…&nbsp; J’ai cinq ans aujourd’hui. Il fait froid sec, mais le ciel est bleu. Sur mon petit vélo à quatre roues, je parcours les allées du jardin de la maison familiale. Il est treize heures, j’ai un peu faim. Je n’irais pas pourtant demander à Maman de passer à table, car nous attendons Papa qui doit apporter mon cadeau.&nbsp;Je suis heureuse et impatiente à la fois, je sais qu’un gâteau et cinq bougies m’attendent. Je n’appuie que très peu sur les pédales de mon vélo qui grince, pour avoir juste le temps de faire un tour de jardin avant son retour. De temps à autre, ma mère ouvre la fenêtre pour s’assurer de ma présence. Je vois se pencher sa silhouette alourdie, elle attend celui qui sera mon frère dans trois mois. Tout à coup, une traction avant noire s’arrête devant la maison. Quatre hommes en sortent rapidement. Deux sont vêtus de gabardines grises et portent des chapeaux mous, les deux autres ont des mitraillettes accrochées à l’épaule. Ils sont déjà dans le jardin quand ma mère de la fenêtre ouverte, me dit d’une voix douce mais ferme&nbsp;:&nbsp;«&nbsp;Va chez ta grand-mère et reste là-bas.&nbsp;» Les hommes ont très vite gravi les escaliers et franchi le seuil de la maison. Je ne demande pas mon reste. Je dois avoir saisi la gravité de la situation. Je pédale, à toute vitesse cette fois, jusqu’à la maison de ma grand-mère, située à cinquante mètres de la nôtre. Ma tante, en écoutant mon récit, se met à pleurer puis à crier. Ma grand-mère, très calme, nous ordonne de nous allonger dans le jardin, près du mur de clôture, les yeux rivés sur la maison ou la «&nbsp;descendre&nbsp;». Quelques heures&nbsp;plus tard, elle nous dira comment ils ont fracturé les tiroirs du bureau de mon père, à la recherche de documents concernant le maquis du Vercors, la Résistance. Documents qu’elle avait eu le temps d’enfermer dans une boite en fer placée dans le foyer de la cuisinière. Elle nous dira aussi qu’ils avaient fouillé tous les placards, retourné les armoires, avant de lui annoncer en partant que mon père avait été dénoncé et emmené par la Gestapo. Ils avaient ajouté qu’ils la laissent en vie parce qu’elle&nbsp;était enceinte. Elle nous précisera par la suite que&nbsp;lorsqu’ils montaient sur une chaise pour atteindre un placard en&nbsp;hauteur, ils lui réclamaient, comble de la dérision, un journal pour ne pas salir la chaise&nbsp;!

Des yeux de cochon Le boulanger de la place de la République, gros bonhomme avec de petits yeux de cochon , profite du fait que je suis un enfant pour tricher sur tout , lorsqu’on m’envoie au pain&nbsp;: soit il prélève plus de tickets que le poids qu’il donne , soit il détache la bonne quantité de tickets , donc correspondant au poids demandé , mais sans fournir en réalité le poids équivalent , soit , enfin il triche sur la monnaie rendue… bien souvent au travers de la grille de fermeture , car il ferme de bonne heure et gare aux retardataires&nbsp;!... Bienentendu lorsque j’arrive à la maison et qu’on recompte la monnaie, c’est trop tard… Souvent, ma mère ou ma grand-mère me demandent de ne pas oublier de faire noter par le commerçant le prix et le poids de la marchandise livrée.&nbsp;Arrivé à la maison , c’est le moment des vérifications&nbsp;: ma grand-mère pèse tout à nouveau et divise le prix marqué par le poids , recalculant ainsi le prix au kilo , lequel est , bien souvent , supérieur au prix annoncé par le commerçant . Il faut donc retourner chez lui et lui demander de rectifier&nbsp;; c’est l’horreur&nbsp;!&nbsp; Gérard Gros

Les «&nbsp;années noires&nbsp;» : la vie sous l’occupation

Drôle de guerre Albert Pognan a vingt-quatre ans en 1939. La mobilisation transforme ce jeune Dieppois désœuvré, violoniste à ses heures, en soldat télégraphiste. &nbsp; La frontière est délimitée par un petit ravin dans lequel passe une voie ferrée. Le groupe auquel j’appartiens-qui se compose de onze hommes&nbsp;: un sergent, un caporal, et neuf soldats-est affecté dans une maison qui appartenait à un garde mobile en temps de paix. Il s’agit d’une maison en béton armé&nbsp;; les portes intérieures et extérieurs sont blindées et sont munies d’œilletons et de meurtrières permettant de lancer des grenades en cas de nécessité. Nous avons vue sur l’Allemagne. Nous observons soldats allemands jouer au football à quelques centaines de mètres de nous. Tout est très calme. Un jour, notre capitaine vient nous rendre visite. Il passe un savon car nous faisons du feu. Il a vu sortir de la&nbsp;fumée depuis la cheminée de la maison. Il nous explique alors comment se chauffer en temps de guerre&nbsp;: à savoir mettre les boulets de charbon dans le braisier un par un en attendant à chaque fois que le boulet soit rouge avant d’en mettre un autre. Cela empêche le dégagement de fumée et cela évite donc de se faire repérer par l’ennemi en signalant que la maison est habitée. Nous surveillons les parages vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le soir, nous nous barricadons. Le matin, nous faisons une sortie, dans un périmètre d’une centaine de mètres autour de la maison. Tout est calme. Un matin, nous repérons des traces de pas dans la neige. Un groupe franc allemands était venu roder autour de la maison à l’insu des veilleurs. A partir de ce jour, nos sorties u matin se font sur le qui-vive. A Noel, notre ordinaire est&nbsp;amélioré. Nous festoyons gentiment&nbsp;:&nbsp;l&nbsp;soldat&nbsp;garde sur la&nbsp;frontière&nbsp;abandonne son poste et vient nous&nbsp;rejoindre pour boire un verre. Tout&nbsp;a&nbsp;coup, nous entendons des coups violent dans la porte. «&nbsp;Ouvrez&nbsp;! Ouvrez&nbsp;!&nbsp;» Nous regardons par l’œilleton et apercevons notre capitane. Aussitôt, nous faisons sortir le soldat de garde. Le capitaine nous interroge pour savoir si nous n’avons pas vu un Allemand qui se dirigeait vers nous. Nous répondons par la négative. Nous apprenons par la suite qu’il s’agit d’un soldat français parti chasser en Allemagne sans prévenir personne. A Morbash, il y avait un gutteur dans le clocher de l’église. Et quand le chasseur est revenu, le guetteur a donné l’alerte. Aussitôt, nous sommes tous sortis avec les mitrailleuses… Cette fausse alerte a en partie gâché notre jour de Noel.&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Albert Pognan &nbsp;

Dunkerque Les tirs de la dca et les vrombissements d'avions donne l'impression d'un orage permanent. La terre tremble au poing que, dans un abri bétonné, un officier a et de tanguer autant qu'à bord de son torpilleur. L'eau, soulevé en trombes, est lourde de vie broyée, chargée d'épaves et de cadavres. Dans le ciel flottent - tendres confidences ou bilans- des vols de papiers encore en ignition. La plupart des réservoirs de pétrole sont en feu; les flammes montent à deux ou trois cents mètres de hauteur; le vent de noroît rabat la fumée vers l'intérieur, une fumée si dense qu'elle cache le soleil et les avions se battent dans ces nuages puants qui bouchent tout le ciel. Plus rien n'est à sa place, avec sa raison d'être. Il n'est plus rien qui ait assez de masse pour ne pas être secoué comme un roseau par la tempête, assez de résistance pour ne pas être déchiqueté; assez de poids pour ne pas être projeté à cent mètres en l'air, assez d'incombustibilité pour ne pas flamber, assez de flottabilité pour ne pas être englouti... La terre, l'air, l'eau, le feu ne connaissent plus qu'une loi commune: la destruction, et pour parachever cette tâche, chaque élément se mêle aux autres.... Plus rien n'est à sa place, avec sa raison d'être. Des camions&nbsp;sautent&nbsp;à l'eau, des débris de coque volent sur les quais. Plus rien ne reste à sa place, et pourtant chaque marin demeure à son poste non pour la seule fonction que lui fixe sa consigne mais pour toutes celles que lui inspire son coeur. Ni l'intensité du tir, ni l'obsession des sirènes d'avion, ni ce sifflement aigu et léger que font en tombant les bombes incendiaires, ni ces souffles puissants&nbsp;des explosions qui brusquement, venus de droite, venus de gauche, tentent de vous jeter bas, ni les flammes qui viennent à vous, ni l'ardente chaleur des ruines fumantes, rien ne peut empêcher les équipes de marins de circuler parmi les décombres pour leur arracher les victimes. Maurice&nbsp;Guierre

Drôle de guerre Albert Pognan a vingt-quatre ans en 1939. La mobilisation transforme ce jeune Dieppois désœuvré, violoniste à ses heures, en soldat télégraphiste. La frontière est délimitée par un petit ravin dans lequel passe une voie ferrée. Le groupe auquel j'appartiens - qui se compose de onze hommes : un sergent, un caporal et neuf soldats - est affecté dans une maison qui appartenait à un garde mobile en temps de paix. Il s'agit d'une maison en béton armé ; les portes intérieures et extérieures sont blindées et sont munies d’œilletons et de meurtrières permettant de lancer des grenades en cas de nécessité. Nous avons vue sur l'Allemagne. Nous observons les soldats allemands jouer au football à quelques centaines de mètres de nous. Tout est très calme. Un jour, notre capitaine vient nous rendre visite. Il nous passe un savon car nous faisons du feu. Il a vu sortir de la fumée depuis la cheminée de la maison. Il nous explique alors comment se chauffer en temps de guerre : à savoir mettre les boulets de charbon dans le brasier un par un en attendant à chaque fois que le boulet soit rouge avant d'en mettre un autre. Cela empêche le dégagement de fumée et cela évite donc de se faire repérer par l'ennemi en signalant que la maison est habitée. Nous surveillons les parages vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le soir, nous nous barricadons. Le matin, nous faisons une sortie, dans un périmètre d'une centaine de mètres autour de la maison. Tout est calme. Un matin, nous repérons des traces de pas dans la neige. Un groupe franc allemand était venu rôder autour de la maison à l'insu des veilleurs. À partir de ce jour, nos sorties du matin se font sur le qui-vive. À Noël, notre ordinaire est amélioré. Nous festoyons gentiment : le soldat de garde sur la frontière abandonne son poste et vient nous rejoindre pour boire un verre. Tout à coup, nous entendons des coups violents dans la porte. « Ouvrez ! Ouvrez ! » Nous regardons par l’œilleton et apercevons notre capitaine. Aussitôt, nous faisons sortir le soldat de garde. Le capitaine nous interroge pour savoir si nous n'avons pas vu un Allemand qui se dirigeait vers nous. Nous répondons par la négative. Nous apprenons par la suite qu'il s'agit d'un soldat français parti chasser en Allemagne sans prévenir personne. À Morsbach, il y avait un guetteur dans le clocher de l'église. Et quand le chasseur est revenu, le guetteur a donné l'alerte. Aussitôt, nous sommes tous sortis avec les mitrailleuses...Cette fausse alerte a en partie gâché notre jour de Noël. Albert Pognan

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