De boue, Loire ?

by Christian BERGZOLL

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Christian BERGZOLL
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47° 23' 55.93" Nord 0° 41' 34.86" Est
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47° 23' 55.93" Nord - 0° 41' 34.86" Est
 
Ça veut dire quoi, pour moi, ces syllabes ? 

« Bous, Loire ! ». J’ai crié ça, nu, vers minuit, sur une île, au milieu du fleuve et la brume tiède qui me cernait jusqu’aux hanches m’a englouti. J’ai imaginé, soudain, que j’étais une crevette grise et qu’en ébullition je devenais rose, comestible. 
Quand j’ai raconté ce rêve d’enfance au psychiatre, il en a conclu que mes tendances homosexuelles ne dataient pas d’hier, ça ne m’a ni surpris, ni satisfait. 
Puis, à la séance suivante, pour étayer son diagnostic, il m’a lu les notes qu’il avait extraites de la Toile Invisible où l’on peut accéder gratuitement à tout le savoir du monde : 
« Bouloir, c’est le terme vulgaire pour désigner l’urinoir public où l’on joue à plusieurs… où l’on joue… aux boules, bien sûr… Plus personne n’utilise ce mot, ni ce lieu, d’ailleurs, pour des rencontres homos, intimes, anonymes, qui n’ont rien de sanitaires. Avec les réseaux sociaux et le dark web… Vous connaissez, bien sûr… ». 
Je pensais que j’étais resté impassible : il a souri, narquois, parce qu’il a cru, en décryptant mon attitude, que j’acquiesçais. Ça m’a contrarié. 
« Bouloir, c’est le terme technique des vieux passionnés de pêche, une longue et souple baguette en bois, terminée par un tampon, utilisée pour agiter le fond et faire remonter le poisson à la surface. On dit bouille, dans notre province… Vous le saviez, bien sûr… ». 
Parce que je fréquente les berges ? Parce que je suis natif de la capitale de la Touraine ? 
Parce que je pèche devant l’Éternel?  Décidément, il suppute mal. Mâle ? Il…  
« Bouloir, c’est l’herminette du maçon, quand il remue la chaux, quand il l’éteint, avec de l’eau, donc, et quand il la mêle au sable ou au ciment. Mais ils sont rares et hors de prix, les artisans qui savent… ». 
Adepte de Lacan, il tenait à m’expliquer que les mots sont porteurs de sens : bouloir, un lieu… pour pêcher la proie… pour la traiter à chaud, pour… J’ai haussé les sourcils, je le trouvais plutôt insistant, affligeant. Insignifiant. Attirant aussi, bien sûr… 
Je pensais que j’étais resté impassible : il a souri, narquois, parce qu’il a cru, en décryptant mon attitude, que j’acquiesçais. Ça m’a contrarié. 
« Bouloir, c’est le terme technique des vieux passionnés de pêche, une longue et souple baguette en bois, terminée par un tampon, utilisée pour agiter le fond et faire remonter le poisson à la surface. On dit bouille, dans notre province… Vous le saviez, bien sûr… ». 
Parce que je fréquente les berges ? Parce que je suis natif de la capitale de la Touraine ? 
Parce que je pèche devant l’Éternel?  Décidément, il suppute mal. Mâle ? Il…  
« Bouloir, c’est l’herminette du maçon, quand il remue la chaux, quand il l’éteint, avec de l’eau, donc, et quand il la mêle au sable ou au ciment. Mais ils sont rares et hors de prix, les artisans qui savent… ». 
Adepte de Lacan, il tenait à m’expliquer que les mots sont porteurs de sens : bouloir, un lieu… pour pêcher la proie… pour la traiter à chaud, pour… J’ai haussé les sourcils, je le trouvais plutôt insistant, affligeant. Insignifiant. Attirant aussi, bien sûr… 
Je le consultais pour qu’il donne une explication intéressante à mon besoin irrépressible de dormir, une fois par semaine, quels que soient la météo et les risques de crues, sous l’un des ponts de la ville enjambant le fleuve. Je l’interpellais, surtout, pour qu’il trouve une recette et me libère de cette addiction. C’est ce que j’ai prétendu. 
 
J’ai cru qu’il allait explorer mieux mon inconscient. Et ma vie. Naïvement, sous prétexte d’expérimenter une nouvelle variante de la thérapie habituelle, privilégiant l’analyse sur le terrain, il s’est laissé piéger, il a accepté de visiter l’une de mes caches, au crépuscule… 
 
Il a garé son véhicule sur le parking, allée de la Loire, a renouvelé sa dose quotidienne de tabac chez le buraliste du quai, a emprunté la passerelle, à pied, bien sûr, jusqu’au portillon du complexe sportif de l’île Aucard. Je l’y attendais. 
Ensuite ?  
Grâce à ses clefs, j’ai fouillé de fond en comble son véhicule, son cabinet, son domicile et raflé tout ce qui pouvait, de près ou de loin, témoigner des deux rendez-vous que j’avais honorés sur son canapé. Deux rendez-vous ? Deux bouloirs ? C’est rigolo, non ? 
 
Voilà, inspecteur, vous savez presque tout, maintenant, en ce qui concerne la disparition de Camille Seguin. 
 
Quant à Marc Seguin… Oui, je sais, il n’était pas de la même famille, quoique… si l’on remonte dans les arbres généalogiques… 
Il cherchait comment rejoindre la passerelle Saint-Symphorien le plus rapidement possible, pour une compétition sportive. Sur l’île Aucard, évidemment. A cause d’une avarie de caténaire, il était en retard. Comme le train dont nous partagions momentanément la banquette.  
« Depuis la gare ? Soit tu prends le bus 10, qui passe par le Pont Mirabeau et tu descends à l’arrêt Paul Bert. Un gros quart d’heure, peut-être. Soit tu prends le tram, ligne A, tu descends place Choiseul et tu remontes le quai. Moins d’une demi-heure, je crois… ».  
Je l’ai tutoyé, ça ne l’a pas choqué. A cause des travaux liés aux deux ouvrages d’art, je lui ai proposé un transport dans ma voiture, sans doute plus efficace pour éviter les bouchons. J’étais disponible, prétextant un après-midi en RTT. Il n’a pas hésité. 
Stationné comme Camille, à pied comme lui, j’ai accompagné Marc jusqu’au stade, il n’était finalement pas en retard, il avait encore vingt minutes avant d’être en lice, j’en ai profité pour l’emmener sous la passerelle… Et… 
 
Un vrai bavard. Il m’a raconté toute sa vie. D’abord dans le train : son diplôme d’ingénieur, spécialisé en maçonnerie, puis son goût prononcé pour le sport. En voiture et à pied : sa curiosité pour la faune et la flore spécifiques aux rivages. Je n’ai pas expliqué comment j’avais repéré son visage, son nom, ses habitudes, sur les réseaux sociaux qui exposent tous leurs membres en vitrines pour les prédateurs incitant à consommer… et les autres, comme moi. 
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