Coup de théâtre

by Anne Clotilde GRIZEL

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Les affiches placardées sur les troncs d’arbres promettaient une soirée théâtrale singulière à la P’tite Guinguette tourangelle, en bord de Loire. Spectacle interrompu. Les guirlandes colorées éclairent maintenant la scène… de crime. Une comédienne gît sur les planches. La brise estivale soulève un pan de son chemisier déchiqueté et imbibé de sang. Plaie béante sous la poitrine. Balle 9 mm ? L’autopsie le confirmera.
J’observe les personnages qui évoluent sur le plateau au décor minimaliste. La photographe, stagiaire zélée, tire le portrait du cadavre. Les techniciens de la police scientifique tracent des repères à la craie sur le sol, disposent çà et là des cavaliers jaunes numérotés, préparent les sacs en plastique et papier kraft qui recueilleront les pièces à conviction. Le médecin légiste se pointe enfin. Vu son accoutrement de pingouin, il a sûrement dû s’extraire d’une fête de famille. Il enfile à la hâte combinaison blanche à capuche, masque et gants en latex pour procéder aux premières constatations.
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Chacun son rôle. Le mien s’achèvera dans quatre jours. Je troquerai mon costume de commandant de police judiciaire Philippe Duviquet pour celui de retraité à plein temps. Je ne m’illusionne pas : aujourd’hui irremplaçable, demain aux oubliettes. J’achèterai une bicoque à retaper en Gascogne et adopterai un chien de berger. Non. Trop cliché du vieux flic bourru. Je traverserai la planète à moto. Ou en van aménagé. Mais quelle que soit ma destination, la noirceur de l’humanité côtoyée durant ma carrière ne cessera de me hanter. Spectres à perpétuité dans ma boîte crânienne.
J’abandonne la défunte actrice aux bons soins de l’équipe d’investigation pour rejoindre les quelques badauds agglutinés derrière la rubalise. Le morbide fascine. Ces spectateurs aux premières loges du vaudeville joué par la troupe Coup de théâtre conjecturent et extrapolent en cacophonie. Chacun avance sa brumeuse théorie sur le pourquoi.