La malédiction de Vallières

by Bernard MONSIGNY

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Vallières
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A l’hôpital de la Pitié, en ce jeudi 26 avril 1883, régnait une ambiance électrique dans la petite salle au rez-de-chaussée du bâtiment Mazarin réservée aux internes. Les jeunes médecins assemblés après leurs soutenances de thèses écoutaient un héraut de la Faculté proclamer les décisions du jury. Ce jour-là, le jeune Armand-Henri Trousseau apprit sous les vivats de ses amis qu’il venait d’obtenir brillamment le titre de docteur en médecine. A l’âge de vingt-sept ans s’ouvraient devant lui les voies de l’ophtalmologie qui allaient le passionner durant près d’une trentaine d’années. 
Les nouveaux lauréats se congratulèrent après le départ du messager. Les alcools, les vins et les liqueurs quittèrent alors leurs cachettes pour couler à flots en cette circonstance. On chanta maintes chansons gaillardes et l’on cria de bon cœur à réveiller les morts qui reposaient non loin de là au funérarium. Quand les brumes de l’alcool se furent lentement abattues sur les épaules de la compagnie, les esprits se calmèrent, même les plus échauffés. Les diplômés décidèrent alors de conter à tour de rôle un récit dramatique. 
Voici ce que déclara Armand-Henri Trousseau lorsque vint son tour de parole : « Mes bons amis, quelle joie de partager ce moment avec vous, car il s’est fallu de très peu qu’il n’y ait jamais eu de médecin dans la famille Trousseau. Je vais vous révéler une histoire de famille authentique. Je la tiens de mon illustre Grand-Père, le Docteur Armand Trousseau natif de Tours. L’aventure eut lieu dans le courant des années vingt. Mon Grand-Père entamait alors ses études à l’Ecole libre de médecine de Tours sous la tutelle du célèbre et regretté Professeur Bretonneau, médecin en chef de l'hôpital de la ville... ». 
.. Jeune étudiant, il habitait une petite pension à deux pas du Lycée de Tours. A l’époque, les apprentis médecins apprenaient la pratique par compagnonnage après avoir acquis un premier bagage à l’hôpital. Ils assuraient ainsi deux jours de services hebdomadaires auprès d’un médecin de campagne. Le sort lui attribua le praticien de Luynes.
Voici ce que déclara Armand-Henri Trousseau lorsque vint son tour de parole : « Mes bons amis, quelle joie de partager ce moment avec vous, car il s’est fallu de très peu qu’il n’y ait jamais eu de médecin dans la famille Trousseau. Je vais vous révéler une histoire de famille authentique. Je la tiens de mon illustre Grand-Père, le Docteur Armand Trousseau natif de Tours. L’aventure eut lieu dans le courant des années vingt. Mon Grand-Père entamait alors ses études à l’Ecole libre de médecine de Tours sous la tutelle du célèbre et regretté Professeur Bretonneau, médecin en chef de l'hôpital de la ville... ». 
.. Jeune étudiant, il habitait une petite pension à deux pas du Lycée de Tours. A l’époque, les apprentis médecins apprenaient la pratique par compagnonnage après avoir acquis un premier bagage à l’hôpital. Ils assuraient ainsi deux jours de services hebdomadaires auprès d’un médecin de campagne. Le sort lui attribua le praticien de Luynes.
Ce tuteur habitait en solitaire une grande et belle demeure où régnait une redoutable gouvernante, au demeurant cuisinière hors pair. Par chance, cet ancien médecin militaire, bonapartiste enragé, rentré des colonies à la chute de l’Empire, lui offrit le gîte et le couvert durant ses jours de services. De Tours à Luynes, il fallait bien deux heures de marche à pied ou une bonne heure à cheval, en passant par le Pont de pierre fraîchement reconstruit avant de longer la Loire par la route de Langeais et de Saumur. 
A l’occasion de leurs tête-à-tête autour d’un brochet de Loire à l’oseille ou d’andouillettes de Vouvray aux pleurotes, l’hôte évoqua - entre autres - devant l’étudiant les mystérieuses maladies endémiques qui infestaient les anciennes colonies. De ces échanges, il conserva une fascination pour ces criminelles implacables et étranges comme la syphilis, la dengue, la lèpre ou la variole. Plus tard, devenu médecin, l’étudiant devait s’illustrer par de brillantes recherches sur la fièvre jaune dans l’enclave de Gibraltar. 
Un après-midi de juin, confronté à une salle d’attente aussi vide que son carnet de visites, le tuteur rendit à l’étudiant sa liberté jusqu’à la semaine suivante. N’allez pas croire que le tuteur fût un mauvais médecin sans patientèle ou que la santé de ses ouailles ne méritât pas de soins. C’était la saison des foins, tout simplement. Avec le retour des beaux jours, la patientèle ingrate préférait travailler dans les prés, les vignes et les jardins, plutôt que de se soigner. 
Pour l’occasion, l’étudiant décida de regagner Tours à pied. Il ne craignait pas une marche de deux heures le long de la Loire, surtout en ces beaux jours qui annonçaient l’été. Sans doute aurait-il dû se montrer plus prudent car, peu avant l’ancien village de Vallières, le soleil avait disparu masqué par une couche épaisse de nuages noirs et menaçants. On eût dit que les horloges pressées de se coucher avaient avancé leurs aiguilles d’au moins quatre heures. Incapable de se cacher plus longtemps, un orage creva le ciel. S’abattit alors sur notre malheureux étudiant une pluie épaisse et drue comme la fourrure d’un renard.
Trempé jusqu’aux os en peu de temps et maudissant son infortune, l’étudiant aperçut soudain à une centaine de mètres, dans la quasi-pénombre, briller les fenêtres d’un estaminet au lieu-dit du Port-Vallières. Malgré la douceur de la saison, un feu brûlait dans l’âtre et le tenancier l’invita à s’installer devant pour se sécher avant de lui apporter un bol de vin chaud fumant. L’étudiant remarqua innocemment que ce déluge était “propre à décrasser la Place des Fruits de Tours”, ce qui lui attira une répartie sibylline où “tout le sang coulé à Vallières ne s’en trouverait pas lavé”. « Si vous en avez le temps Monsieur, Baptiste et ses collègues de la Mairie pourraient vous conter la malédiction de Vallières » poursuivit le tavernier en apostrophant trois cantonniers qui discutaient paisiblement autour d’une table retirée dans un angle de la salle.
Avec leur accord, l’étudiant rejoignit la tablée et commanda à leur intention une bonne bouteille de vin de Chinon qui délia promptement les langues. 
Tout commença en juillet 1804, l’année du sacre de l’Empereur. Un marinier aperçut un corps flottant au pied du quai comme il faisait halte à Port-Vallières. Le corps extrait de l’eau révéla une très jeune femme à la mise modeste dont la nuque avait été brisée. Elle tenait encore serré contre elle un petit sac de cuir éventré. On alla quérir la maréchaussée et il y eut une enquête. Dans tout le pays, on ne parlait plus que du crime. C’était Margot, la fille de maraîchers de Vallières. Elle n’avait pas reparu depuis son départ la veille pour Tours avec un petit tombereau de légumes à vendre en Place de Châteauneuf. 
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