Un ponton sur la Loire

by Pierre CLÉVENOT

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Un froid mordant me fait frémir mais nous sommes ensemble et cela me suffit. Une langue de brouillard coule sur la surface de l’eau, comme une rivière s’écoulant sur une autre rivière. L’impression est très étrange. Par endroits, réchauffée par une source insoupçonnée de chaleur, la brume s’élève par paquets. Partout ailleurs, fluide évanescent, elle glisse, juste au-dessus des eaux. La Loire se cache sous son écharpe blanche. Le soleil qui s'élève aura tôt chassé cette gangue impalpable. En attendant, je contemple la brume, puis toi, puis la Loire, puis toi... Le printemps est à moitié passé mais le froid rappelle l'hiver. Mêmes les cygnes ne se nourrissent pas encore, ils hésitent à immerger leur long cou dans l'eau. Comme indolente, peu pressée que le jour s'établisse enfin, la nature attend calmement, les gestes animaux sont mesurés, le bruissement des branches pleines de bourgeons se fait discret.
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Je te contemple depuis mon perchoir. C’est notre endroit, rien qu'à nous, notre jardin secret. C’est un vieux ponton délabré, une halte à toue cabanée. Oublié sur la rive gauche de la Loire, entre Chaumont et Amboise. Il donne sur les îles de la Calonière. D’où je suis, je ne vois que le fleuve, ceint de ses berges arborées, qu’habitent les grands cormorans et quelques mouettes farouches. Et le ciel. Je suis sur notre ponton, à moitié effondré ; il manque plusieurs planches de bois, pourries par les sévices du temps et l’infinie patience de la pluie. Il s’élève à un mètre cinquante au-dessus des eaux par quatre grands piliers de pin autoclavé. L’un d’eux, rongés par les intempéries est plus faible que les autres. Il menace de s’effondrer à tout instant, mais d’après moi, il n’entraînera pas la chute de la plateforme. Il restera après nous. Déjà, il t'a survécu.