Pieds et mains liés

Parchment

par la classe de Seconde 2 du lycée Emile Zola de Châteaudun

Le maître ordonna de rassembler tous les esclaves. On me poussa au milieu de cette assemblée et je tombai face contre terre devant le contremaître qui tenait le nerf de bœuf. On m'arracha le seul tissu que je portais me laissant nue devant les autres esclaves. Mes pensées furent interrompues par une violente douleur au dos dû au premier coup de fouet... 49 coups de fouet après je ne sentis plus aucune douleur mais une fatigue extrême. Avant de fermer les yeux, j'aperçus Makoya et je rendis mon dernier souffle.   

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Marcel_verdier_le_chatiment_des_4_piquets.jpg « Châtiment des quatre piquets dans les colonies », Marcel Verdier, 1843. Domaine public

Très vite une organisation se mit en place afin de nous faire avancer. Le port était bondé et la foule nous observait tantôt le sourire aux lèvres tantôt le sourcil froncé.

Là encore on nous entassa et on nous fit attendre, en plein soleil, sans une goutte d'eau à boire. Un homme blanc me saisit tout à coup par le bras, confirmant ainsi que je n'étais plus maître de moi-même. Des cris stridents et des bruits assourdissants emplissaient l'air.

On me lava, mécaniquement et brusquement, comme si j'étais une vulgaire bête. Mon humanité me semblait bien loin désormais, restée dans mon village d'Afrique. Kouassi, non loin de moi, en était réduit au même sort. Son visage fermé traduisait sa peine d'avoir été définitivement séparée d'Asma. Des hommes nous enduisirent d'huile de palme, nous préparant pour notre sombre destin.

Nous fûmes appelés pour une inspection médicale, et le médecin déclara que nous étions en bonne santé, après scruté nos yeux, notre bouche, nos dents et palpé l'ensemble de notre corps. On nous fit alors monter sur une estrade et je compris que nous allions être vendus comme de simples meubles. Des hommes blancs allaient jusqu'à monter sur l'estrade pour nous voir de plus près, tâtant nos muscles et regardant nos dents. Je fus vendu à un homme blanc qui semblait inspirer crainte et respect à la foule qui nous entourait.

Le soleil me frappait le visage, mes pieds battaient la terre sèche et l'air ardent attaquaient mes poumons de sorte que chaque respiration devenait plus douloureuse que la précédente. Autour de moi, un paysage morbide se dessinait. Des esclaves, tous plus mal en point les uns que les autres. Douleur, tristesse, désespoir pouvaient se lire dans leur regard. Qu’avaient-ils fait pour mériter cela ? Qu’avions-nous fait pour mériter ce châtiment si cruel ? Devant moi, de maigres enfants au visage assombri et au regard quitté par l’innocence se poursuivaient à toute vitesse. - Hé, ne t’arrête pas d’avancer ! L’homme à droite me tenait fermement le bras, de sorte que je ne puisse avoir que peu de mouvements. Voir que mes propres congénères participaient à cette boucherie me répugnait. Je ne pouvais concevoir l’idée de faire subir à nos semblables ce que nous-même avions subi. Tandis qu’un débat faisait rage à l’intérieur de moi, le garçon qui me tenait le bras me dit : - Nous sommes arrivés. Un conseil, ne fais pas le malin et fais ce que l’on te dit.

Au petit matin, nous nous rendîmes compte que nos corps étaient mouillés, le sol était rempli d'eau. Cela faisait rire les petits car il pouvait s'arroser mais c'était en réalité une vraie torture car nos pieds gonflaient avec l'eau. Nous avions peu d'espace, nous ne pouvions pas nous lever et étions coincés dans ce fond d'eau. Ma femme était extrêmement malade, mais elle gardait la force pour notre futur bébé. Je pouvais heureusement la voir malgré cette barrière qui nous séparait. Je n'oublierai jamais sa belle jupe qu'elle venait de confectionner qu'elle portait le jour où ils nous ont emmenés. Lorsqu'ils l'ont mise à nu, elle en avait arraché un morceau qu'elle gardait toujours au creux de sa main pour se rappeler d'où elle venait.

Au moment de nous mettre en route pour le retour, je me rendis compte qu’une roue était voilée. Je partis en quête d’un charron. Pendant la réparation, pour passer le temps, la jeune maîtresse voulut aller sur une petite colline aux abords de la ville afin d’admirer le paysage. - Pourquoi ne parles-tu pas ? demanda la jeune femme. Je ne répondis pas&nbsp;. - Divertis-moi, dit-elle d’une voix enjouée Je ne savais que faire face à sa requête. Je me munis d’un papier et d’un crayon dans les fournitures achetées plus tôt. Pendant ce temps calme, je pris le temps d’examiner le visage de la jeune femme. Elle avait de longs cheveux couleur or dévalant ses épaules, et ses yeux étaient d’un vert intense, le genre de regard qui vous procure un frisson. Sa robe était constituée de froufrous et de volants. Elle ressemblait à ces anges représentés dans l’église où nous devions aller tous les dimanches et était bien différente des femmes de chez nous.

Son visage m’inspirait&nbsp;. Il m’inspirait quelque chose de doux, comme le lait chaud qu’on boit le matin après s’être réveillé à la va vite pour aller nourrir le bétail&nbsp;. Intriguée et étonnée, la maîtresse s’approcha pour essayer de voir ce que je dessinais. Me voyant esquisser un geste de repli, elle se recula et patienta, en souriant. Enfin, avec timidité, je lui donnai mon portrait&nbsp;. - Mais c’est vraiment splendide, tu as un vrai talent&nbsp;! Croulant sous les compliments, je ne sus que répondre&nbsp;: - merci&nbsp;! L’atmosphère détendue, ils commencèrent à faire connaissances&nbsp;. - Je me nomme Anne, dit-elle enjouée. - Et moi Félicité. Nous ne rentrâmes que tard dans l’après midi.

Dans les jours suivants, au hasard des rencontres sur le domaine ou les plantations, nous échangeâmes des sourires et des regards discrets.

Je travaillais sous un soleil de plomb lorsque je vis arriver vers moi Akou, tenant un enfant par la main. Il faisait vite et se faufilait parmi les cannes pour échapper à la surveillance de nos gardiens. Il se planta devant moi, les yeux brouillés de larmes et me tendit un morceau de tissu. Je le regardais sans comprendre. Akou me fixa intensément puis me montra du doigt l'enfant. J'eus l'impression que le sol se dérobait. Le tissu d'Asma... Cette étoffe que je vis si souvent portée par ma femme. La dernière fois que je l'avais vue, c'était sur ce bateau de l'enfer...Cet enfant qu'elle portait... Je sentis mon corps fléchir encore une fois sous le coup de l'émotion. Tout y passait, tristesse, joie, colère, angoisse... Je ne savais pas si je me devais le prendre dans mes bras ou faire profil bas en pensant les souffrances endurées par ce petit garçon. Seulement, je ressentis un lien inexplicable, un sentiment d'attraction envers ce petit bonhomme qui me guidait pas à pas dans sa direction.

J'avançai vers lui, je ressentais le besoin de poser à cet enfant toutes les questions qui me venaient en tête : Où l'a t-il eu ? Ce morceau appartenait-il à ma tendre femme ? Et si je me trompais ? Et si tout cela n'était qu'une simple coïncidence ? Je me lançai... Mais face à ce petit, je ne sus quoi dire. Alors je commençai à l'observer de plus près, jusqu'à ce que j'eûs cette impression d'avoir déjà vu ce regard des milliers de fois, c'était celui de ma femme. Le morceau de tissu, je le sentais, je le pris dans mes mains, c'était elle. - Excuse-moi, bonhomme ? Où as-tu trouvé ce morceau de tissu ? - Maman, elle est morte, dit le petit très brièvement face à cet inconnu. Ma vue se troubla. J'emmenai le petit un peu à l'écart, prenant garde de ne pas être vu par les contremaîtres. Nous nous assîmes sur le sol et je lui racontai notre histoire. C'était un moment d'émotion et de tendresse, cela fait des années que je n'avais pas ressentis cela. A partir de cet instant, il resta avec moi à la plantation. Je n'aurais pu supporter une nouvelle séparation.

- Ne t’en fais pas, je suis sûr qu’il ne pensait pas ce qu’il disait. Il est souvent d’humeur grincheuse, mais il a bon cœur. Soucieux de ses paroles et troublé par l’événement précédent, je partis juste rejoindre mon groupe sans demander mon reste.

Nous prîmes donc une charrette avec une mule et nous dirigeâmes vers la ville. La femme du maître me laissa quelques heures, le temps de faire ses quelques emplettes et de passer voir une amie de longue date qui y séjournait. Je tuai le temps en regardant cette effervescence autour de moi&nbsp;: chevaux, voitures, convois de marchandises et d’êtres humains.

Deux semaines passèrent. Je faisais profil bas, accomplissant sans un mot toutes les taches aussi dures fussent-elles. Je tentais d'oublier l'incident avec le maître en divertissant Kouassi avec mes histoires. Le maître fit alors la requête qu’un esclave accompagne sa femme pour une course en ville et, contre toute attente, je fus désigné pour l’accompagner&nbsp;étant donné que j’avais fini toutes mes corvées. Peut-être avait-il regretté son geste...

http://zone47.com/crotos/?q=59330728 Auteur : Le Masurier Musée Calvet Domaine public

Je découvris, dès mon arrivée, mon lieu de travail, une plantation de cannes à sucre. La plantation se trouvait dans une zone très chaude et humide, ce qui rendait les conditions de travail d'autant plus difficiles. Les cannes à sucre atteignaient une hauteur de 4 mètres. Nous nous levions dès le lever du soleil pour exécuter ces travaux machinalement et de manière répétitive sous les cris et la chaleur particulièrement étouffante. J'exécutais les taches sans réfléchir, sans parler, sans penser, avec acharnement. La moindre seconde de répit me ramenant irrémédiablement en pensée vers Asma et notre enfant. Akou essayait tant bien que mal de me faire parler ou de me divertir devenant griot.

La canne à sucre en Martinique : de l'esclavage à nos jours [GEO] - Vidéo Dailymotion

https://www.dailymotion.com/video/x85ehs3 Auteur : GEO

Nous coupions de la canne au coutelas à longueur de journée avant de le transporter en chars à bœufs vers les moulins. La plantation était très étendue et le nombres d’esclaves était très élevé. Les tentatives de révolte étaient de moins en moins nombreuses en raison de châtiments aléatoires qui pouvaient toucher n'importe lequel d'entre nous. Certains nous avaient dit qu'en cas de fuite, on pouvait nous couper une jambe et nous marquer au fer rouge. Le dimanche, nous devions aller à l'église et écouter un homme blanc nous dire que nous étions tous frères... Asma, elle aussi entendait-elle les mêmes discours absurdes ? Connaissait-elle les mêmes conditions de vie et de travail malgré sa grossesse ? Ces questions sans réponse me rendaient malade. Heureusement Akou tentait toujours de me divertir en me racontant des histoires à la façon du griot de nos villages. Le soir, avec les autres esclaves, nous chantions et dansions pour oublier notre peine et exprimer notre désespoir.

A mon réveil, tous les habitants du village étaient enchaînés et complètement hagards. Asma était heureusement près de moi et je reconnus à quelques mètres de nous, Akou, mon ami de toujours. Nous nous trouvions dans une sorte de campement non loin de chez nous. Nous étions encerclés par une dizaine d'hommes armés et étions tous terrorisés. 

Des hommes inconnus aux allures de pilleurs, munis d'armes, faisaient des rondes pour nous surveiller. Au lever du jour, un homme à la peau blanche portant sur sa tête un chapeau ordonna : "Il faut se mettre en marche". On nous leva de force et ce fut le début de longues heures de marche sous un soleil intense. Nous étions assoiffés et épuisés par cette nuit de cauchemar. Au moment où le ciel s'assombrit et où la fraîcheur s'installa, les gardes nous entassèrent au pied d'un arbre, enchaînés les uns aux autres, le temps de la nuit. On les entendait rire en buvant un breuvage orange auprès d'un feu. Le lendemain aux premières lueurs du jour, nous reprîmes la route vers une destination inconnue.

Capture des villageois de la région de&nbsp;Nyangwe. Gravure anonyme du&nbsp;Journal&nbsp;de&nbsp;David Livingstone, 15 juillet 1871. https://fr.wikipedia.org/wiki/Esclavage_en_Afrique <a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Nyangwe.jpg">Domaine public</a>

L'accouchement avait commencé et un sentiment d'effroi m'envahit... Peur de mourir.  Mais je devais rester forte pour mon enfant, pour qu'il naisse au plus vite, pour que tout cela s'arrête. Je priais le dieu dont nous parlaient sans cesse les maitres. Existait-il, ce dieu autoritaire et cruel ? Je n'en  savais rien mais j'avais besoin de croire, croire que mon enfant naitrait normalement. Après plus de cinq heures de travail, mon enfant était né. C'était le plus joli nourrisson du monde ! Il était si petit. Ses toutes petites mains, ses tout petits pieds...  Mais ce bonheur ne fut que de courte durée. Le maitre arriva avec fracas dès la fin de la délivrance. Pas question de me laisser me reposer, je devais emmener mon enfant ou le laisser mais retourner travailler. Mon corps était douloureux, mais mon esprit l'était bien plus encore : comment pouvait-on séparer un petit de sa mère ? qu'était-il arrivé à ces êtres au nom d'hommes ayant pourtant perdu la moindre trace d'humanité ?

 Comme  il allait avoir peur, seul dans ce berceau fait de bois par moi et quelques autres  esclaves. Mais le prendre avec moi dans les champs, avec cette chaleur harassante...Toute le journée je réfléchissais à l'avenir de mon enfant. Mon cœur se serrait à l'idée qu'il fût esclave lui aussi, qu'il devînt comme moi.  L'idée de le tuer me vint à l'esprit, mais comment tuer sa propre chair, cet être qui faisait partie de moi ?

Je dus rapidement faire baptiser mon fils Makoya. Je savais que les Blancs nous imposeraient un autre prénom. La cérémonie eut lieu 3 jours après la naissance. Le prêtre, du bout des doigts, mouilla le front de mon fils et le nomma Ustache. C'est l'identité de mon fils que l'on me volait.

https://minorhist.hypotheses.org/277 “Toi enfant sera heureux” (Rollet, c.1794, gravure en taille douce, conservée au Musée d’Aquitaine) Domaine public

Le lendemain, j'allai avec Makoya au champ de canne à sucre lui tenant une grande gourde remplie qu'à la moitié et moi un coutelas pour éplucher la canne à sucre. Quand j'arrivai, je vis les contremaîtres armés de fouet. La tentative de révolte de la veille était encore dans tous les esprits.

La colonisation des îles à sucre : épisode 1/4 du podcast Les possibilités d'une île

Un jour, en plein milieu de la journée, je sentis une douleur plus violente que je n'en n'avais jamais eu auparavant venir de tout mon corps et un liquide couler le long de mes jambes. J'étais seule, effrayée et je criais de douleur en espérant désespérément que quelqu'un me vienne en aide. Je vis au loin un groupe de femmes accourir vers moi, mais je ne pus lutter contre mes yeux qui se fermaient et mon corps tombant au sol. Je ne distinguais que des voix autour de moi. Elles semblaient tellement lointaines... un brouhaha qui me semblait une mélopée. Puis plus rien, le silence, le vide. A mon réveil, je vis ces femmes affolées autour de moi. Elles s'affairaient bruyamment. Deux d'entre elles entreprirent de me déshabiller. Leurs gestes étaient brusques et désordonnés pour manipuler ce corps que je ne maîtrisais plus.

Nous arrivâmes enfin à destination après une traversée abominable. Bon nombre de camarades n'avaient pas survécu et leur corps jeté à la mer. Nous avions survécu, mais notre joie fut de courte durée. Un homme blanc, rude, s'approcha de nous, nous ordonnant de nous lever. Je dépliai péniblement mes membres engourdis tout en cherchant des yeux Asma. Je la vis qui essayait de me sourire ; son visage émacié avait perdu toute expression. Très vite on me bouscula pour me forcer à avancer. Les hommes devaient être débarqués les premiers. Je réalisai tout à coup qu'il s'agissait peut-être de la dernière fois que je voyais la femme de mon ami. Une fois sur le pont, je sentis le souffle brûlant d'un vent chaud transportant la poussière d'un monde nouveau et fus aveuglé par une lumière intense. Je cherchais des yeux Kouassi et le vis complètement hagard quelques mètres devant moi.

Lorsque nous débarquâmes quelques heures plus tard, un paysage éblouissant, un soleil éclatant, apparurent devant nous.  Une végétation que je ne connaissais pas, de grandes collines,  une plage de sable et une eau bleue... Je ne savais pas encore ce que cachait ce cadre paradisiaque. J'appris bientôt en écoutant nos gardiens que nous étions sur une île appelée Martinique.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Esclavage#/media/Fichier:Slaves_auction_Virginia_1861.jpg Vente d'esclaves dits agricoles en Virginie, 1861. Auteur inconnu. Domaine public

Je m’appelle Kouassi et je vais vous raconter ma capture, mon histoire. Tout commença dans un petit village africain, une petite communauté ashanti proche d'une rivière. C'est en ce lieu qu'il y a 25 ans je fus mis au monde, par une mère dévouée et attentionnée. J'y ai grandi heureux mais dans une grande pauvreté. Mon père qui était le plus grand chasseur du village, m'apprit pour mes 8 ans les bases de la chasse. Quant à ma mère, elle m'apprit tout ce qu'il fallait savoir sur la cueillette, pour que je puisse les aider à nourrir notre famille. A mes 18 ans, je fus marié à Asma, qui est la petite fille de notre chef. L'année suivante, mes parents moururent, emportés par une forte fièvre. Asma et moi vécurent heureux au sein de notre communauté jusqu'à cet évènement que je vais à présent vous raconter.

Une nuit dans mon sommeil, je sentis une forte odeur de brûlé et entendis des cris.  Je me levai en sursaut et secouai Asma pour la réveiller. Je la pris par le bras et la sortie de la hutte. Mon regard se porta sur  mon village en proie aux flammes, dévasté. Cela me paralysa de peur. J'entendis une voix au loin crier : "Il en reste deux", sentit un filet emprisonner mon corps puis ce fut le trou noir.

Burning of a Village in Africa, and Capture of its Inhabitants (p.12, February 1859, XVI) https://archive.org/details/wesleyanjuvenil07socigoog https://fr.wikipedia.org/wiki/Esclavage_en_Afrique <a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Nyangwe.jpg">Domaine public</a>

Nous marchions sur un chemin en terre plein de trous, de pierres, de racines, entouré de hautes herbes. Nous aperçûmes au loin un village brûlé, abandonné, désertique. J'essayai tant bien que mal de maintenir le rythme que nous imposaient nos gardiens, mais les entraves et les chaînes me gênaient terriblement. Je n'avais aucune idée de l'endroit où on nous emmenait même si bon nombre de rumeurs circulaient dans le rang. Il était question de bateau, de travail au loin. Kouassi, dès qu'il le pouvait, malgré les chaînes et les gardiens, me lançaient des regards plein d'encouragement. Je vis Akou trébucher sur une pierre et s'écrouler, entraînant avec lui une femme et un homme auxquels il était attaché. Mon cœur s'arrêta.

Un jour comme un autre, je travaillais avec mon fils et pendant notre pause, nous entendîmes notre maître hurler en demandant à tous les esclaves de venir nous rassembler dans la petite clairière non loin de là, sans aucune explication. Je ne compris pas tout de suite de qu'il se passait : Akou était pieds et poings liés au pied de l'arbre aux pendus, comme nous l'appelions. La femme du maître était près de lui, le visage tuméfié et elle aussi entravée.

L'homme d'église lui aussi était présent. Il hurla qu'ils avait commis le péché de luxure et qu'ils méritaient de mourir, que c'était la volonté de Dieu. Je mis mes mains devant les yeux de mon fils afin de lui éviter cette abomination. Je fermai moi aussi les yeux et attendis. On me bouscula et me cria de regarder ce qui arrivait aux partisans du diable. Les deux corps se balançaient, sans vie, le corps de deux êtres qui ne s'étaient rendus coupables que de s'aimer. Mon récit s'arrête ici, un récit de souffrance mais aussi rempli d'espoir. L'espoir que les générations furures mettent fin à ces tortures et à cette douleur. Pour Makoya, pour Asma, pour Akou, moi et tous les autres.

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Ils parvinrent à se relever, non sans difficulté, avant que nos bourreaux ne se rendent compte de l'incident. Nous étions, d'après le peu d'informations dont nous disposions, à la moitié du chemin et la nuit commençait à tomber. Le froid s'installa doucement et nous commençâmes à avoir du mal à voir où nous mettions les pieds. J'étais frigorifiée et commençai à avoir du mal à mouvoir mon corps douloureux. Je ne pouvais m'empêcher de penser aux enfants plus loin dans cette file humaine. Le temps passa lentement, comme suspendu. Cela faisait des heures que nous étions en train de marcher et nous vîmes une embarcation échouée comme un animal marin, puis plus loin vers le large, un immense navire immobile, grand, majestueux mais aussi effrayant. J'avais du mal à détacher mon regard de ce monstre marin qui semblait tout prêt à nous engloutir.

Les chefs de tribu nous disaient de nous mettre dans la barque et de nous serrer pour que tout le monde puisse rentrer. Nous étions tellement entassés que nous avions du mal à respirer. Un prisonnier voulut faire acte de révolte sur la barque, en essayant de pousser un des hommes qui ramait. Celui-ci avait vu arriver ce pauvre drôle épuisé et le poussa par-dessus bord. L'homme tomba à l'eau et personne ne chercha à le repêcher. Je le vis se débattre, essayant de maintenir sa tête hors de l'eau, exhibant ses yeux exorbités qui me hantèrent longtemps, puis il disparut. La barque arriva à l'immense navire. Jamais je n'avais vu une telle chose : il semblait aussi haut et aussi large qu'une montagne. On nous fit monter à bord, non sans peine, à coups de crosse et de fouet lorsque nous n'arrivions pas à nous hisser.

Après ces instants de plaisir fugaces, nous dormions à même le sol. Il n’y avait pas de meubles dans la case. A notre arrivée, on nous avait donné un caleçon de toile bleu et une tunique qui devaient nous durer une année. Alors quand nos vêtements devenaient trop usés, on utilisait des sacs vides en toile qui contenaient des céréales pour s'en confectionner.

J'enviai Akou qui était toujours rempli d'espoir et d'un optimisme sans faille.

Bélé, tambour vivant

https://www.youtube.com/watch?v=XrbAyGRzp3c un extrait de "Bélé, tambour vivant" Un film de Barbara Jean-Elie

Nous descendîmes dans les entrailles du navire et découvrîmes un espace aménagé pour qu'un maximum de prisonniers puissent tenir allongés ou accroupis. J'avais été séparé d'Asma puisque les hommes étaient entassés à l'avant du bateau, les femmes et les enfants à l'arrière ; les deux groupes étaient séparés par une simple barrière mais un véritable mur en réalité qui séparait les êtres. J'essayai de penser fort à Asma, espérant que les esprits nous aideraient à nous retrouver, et lui demandai d'essayer d'être le plus près possible de cette barrière de séparation. Je fis de même, tant bien que mal, avant que les chaînes ne me contraignent pour de bon à l'immobilité. L'espace était encore bien vide et je compris que nous n'étions que les premiers à embarquer ; d'autres arriveraient bientôt en très grand nombre. Je réalisai immédiatement l'enfer que représentait ce voyage, sans savoir pourtant quelle en était la destination ni la durée.

Plan du navire négrier&nbsp;Brookes&nbsp;(1788) par l’abolitionniste&nbsp;Thomas Clarkson, représentant un entassement&nbsp;invraisemblable&nbsp;Par Plymouth Chapter of the Society for Effecting the Abolition of the Slave Trade —&nbsp; http://cocomagnanville.over-blog.com/2021/11/la-vie-a-bord-d-un-navire-negrier.html Domaine public

Akou et moi fûmes achetés par le même homme, Arthur d’Arcy, un ancien soldat qui avait participé à la conquête des Antilles. Cet homme avait été récompensé pour ses&nbsp;exploits sur le bataillon et avait reçu une terre en guise de récompense, comme nous l'apprîmes un peu plus tard. Je n'avais en revanche aucune nouvelle d'Asma et en étais fou de chagrin.

D'Arcy fit venir un homme blanc qui nous trempa le front dans de l'eau et dit quelques formules. On nous dit que cette cérémonie s'appelait baptême et qu'elle nous permettrait de ne pas être damnés. Nous ne comprîmes pas exactement le sens de tout cela. Il nous fallut aussi oublier le nom donné par nos parents. Nous devînmes Amédée et Fortuné. Je savais que nous avions perdu notre humanité mais jamais je n'aurais pensé qu'on nous volerait aussi notre identité.

Quelques temps plus tard, le maître eut de nouveau une requête pour moi. Je fus chargé d’aller chercher du bois pour sa réserve personnelle&nbsp;. Arrivé à l’orée du bois, je tombai mystérieusement sur Anne, assise sur une souche un calepin et un crayon sur les genoux. - Que faites-vous ici ? osai-je lui demander. - Eh bien justement, je cherchais un nouveau paysage inspirant&nbsp;. - Attendez que je vous donne quelques conseils&nbsp;! Elle m'invita à prendre place auprès d'elle. Nous nous rendîmes compte du temps passé ensemble et Anne se précipita aussi vite que possible sur le chemin du retour&nbsp;. - Attendez&nbsp;! Elle se retourna vivement, l'air empressé&nbsp;. Je ne sus ce qui s'empara de mon corps à cet instant. Je lui attrapai la main pour y déposer un baiser&nbsp;. Ce n’est qu’après que je me rendis compte de mon acte&nbsp;.

Surprise par mon geste, Anne ne s’empressa pourtant pas de retirer sa main. Elle me lança un regard indescriptible, mélange de surprise, de peur et de dévotion. Je ne pus la retenir une seconde fois et la laissa repartir rejoindre son mari. Mais je ne regrettai pas ce que je venais de faire. Je découvris un nouveau sentiment émergeant de mon corps par de picotements et de la chaleur,&nbsp;un sentiment indescriptible que je savais réciproque.

" On m'a dit que vous aviez été très bon avec les bêtes, nous dit-il. - Merci, répondit-je en m'inclinant. Quelle surprise de recevoir des compliments... - Vous y retournerez jusqu'à nouvel ordre. Allez manger et dormir, et j'espère que vous ferez toujours un aussi bon travail." Après avoir mangé, sur le chemin de ma case, nous aperçûmes Mouno, un jeune garçon, courir les mains pleines de nourriture. Cela me surprit et je commençai à ressentir une sensation désagréable. Je pensais à toute vitesse : il n'a pas pu avoir toute cette nourriture honnêtement, il l'avait forcément volé, mais pourquoi ? Son petit frère était malade, ça devait être pour lui. Mais il se ferait fouetter si le maître le découvrait. Mais Mouno était extrêmement agile et silencieux, il n'avait pas dû être vu. Cela ne changeait en rien la sensation que je ressentis en le voyant passer, alors... " Monsieur ? " Une petite voix me coupa de mes pensées et me

fit revenir sur terre. " Monsieur tu vas bien ? s'inquiéta Makoya. - Oui oui, ne t'inquiète pas petit, lui répondis-je, je vais bien. Je secouai la tête pour faire disparaître ces pensées. - C'est qui ? L'enfant avec plein de nourriture ? me demanda-t-il. - C'est Mouno, un enfant arrivé ici par bateau avec son petit frère, Moundé. commençai-je à lui expliquer en reprenant notre chemin. C'est un jeune homme plein de vie et très actif, parfois il nous fait des blagues en apparaissant derrière notre dos comme un fantôme. - Raconte-moi ? me demanda-t-il plein d'entrain. - Nous arrivons bientôt, je te raconterai une fois que nous serons dans ma case, répondis-je, amusé. 	Le lendemain, je fus réveillé des pas dehors. Quelqu'un passa la tête par le trou de la porte : " Mouno a volé de la nourriture, il vont le fouetter ! Ils nous ont ordonnés de venir au risque de nous faire fouetter nous aussi, en

Colonne d'esclaves. Gravure pour le livre "Aventures au pays des gorilles" de Paul Belloni Du Chaillu, "L'Univers illustre", 1868. (AFP - Bianchetti/Leemage) https://france-fraternites.org/lhistoire-de-lesclavage-secrit-grace-a-larcheologie/ Domaine public

Ces derniers jours Asma se sentait très mal. Elle vomissait de la bile puisque nous ne mangions quasiment rien. Le bateau était rempli de miasmes et nous craignîmes une fièvre mortelle dont nous avions tant entendu parler. Au bout de deux semaines, nous le savions et le sentions : ma femme était enceinte et s'apprêtait à mettre au monde un esclave. Ce qui aurait dû me procurer une joie immense, m'effraya au plus haut point. J'avais peur qu'elle perde le bébé, qu'un blanc le découvre et leur fasse du mal. Mais paradoxalement j'avais peur que cet enfant vienne au monde. Quel avenir avions-nous à lui offrir ? Les jours passaient et ma femme se sentait toujours aussi mal. Impossible de se mouvoir dans cet entrelac d'êtres humains, parqués et ferrés. Autour de nous certains de nos amis, voisins n'étaient plus que des corps sans vie. Fièvre, malnutrition, désespoir... Le manque de nourriture, l'odeur putride des cadavres, la torture et les sorties sur le pont m'affaiblissaient également.

Mais je gardais la force de tenir pour elle et notre futur enfant qui, je l'espérais serait un garçon. D'un coup j'entendis un cri déchirant venant du pont. Ce son dépourvu d'images me glaça le sang. Peu après, un homme chancelant et couvert de zébrures ensanglantés fut ramené avec violence et jeté sur nous. Il venait de se faire fouetter. Il hurlait encore de douleur et je n'osai pas lui demander pourquoi avait-il eu cela. C'est la raison de ce châtiment qui m'effrayait.

Traversée. Danse de Nègres - anonyme&nbsp;; 1830 : Vers&nbsp;; 1840 : Vers https://musee-aquitaine.opacweb.fr/fr/notice/2003-4-315-traversee-danse-de-negres-3cf23490-97c6-417c-93f4-e6b3add86df9 Domaine public

- Bien ! Mettez vous en rangs, que l’on puisse vous compter et vous nommer, gueula haut et fort le chef de section. C'est l'heure de l'appel. Un cinquantenaire à l’air bourrin et aux sourcils pelucheux s’approcha de nous, accompagné d’une jeune fille. - N’ayez crainte, je vous ai sauvés de vos péchés par la grâce de Dieu. Vous n’aurez plus à vivre tels des animaux limités par l’ignorance. Pauvres pécheurs, vous êtes enfin libres et vous pouvez enfin expier vos péchés par la grâce de notre Père céleste. Prions ! Mais que me racontait ce vieillard ! Nous a-t-il comparés à des bêtes sauvages ? Et que veut-il dire par péchés, que nous reproche-t-il ? Mais qu’ont-ils tous à nous reprocher ces blancs ? Plongé dans mes mes pensées, je ne me rendis pas compte que mon regard était accroché à la jeune fille qui l’accompagnait. -Hé toi ! tonna D'Arcy qui se tenait à quelques mètres.

- Bon à rien, la prochaine fois que tu oses recommencer un tel affront, sois sûr que tu finiras à la potence. Sur ces mots, il se retourna, empli de fureur et se dirigea vers sa demeure. Je sentis la foule qui s’était assemblée à notre arrivée se dissoudre après avoir vu qu’il n’y avait finalement plus rien d’intéressant. La jeune femme accourut vers moi et m’aida à me relever tant bien que mal. - Pardonnez-moi. Pardonnez-moi, dis-je étourdi et tentant de la repousser

J’osai relever la tête pour croiser son regard. - Pour qui te prends-tu pour oser poser le regard sur ma femme ? Comprenant le quiproquo, j’essayai de me justifier au plus vite en balbutiant et en agitant mes mains en guise d’excuse. Mais trop tard, le maître se rua sur moi et me décocha un coup que mon corps fatigué ne put contrer. Épuisé et humilié, je tombais raide sur le sol en m’écorchant les mains et les genoux.

SOMMAIRE page 2			Chapitre 1 page 8			Chapitre 2 page 13	 Chapitre 3 page 21 Chapitre 4 page 26 Chapitre 5 page 32 Chapitre 6 page 42 Chapitre 7 page 49 Chapitre 8 page 57 Chapitre 9 page 62 Sources et droits des documents utilisés page 63 Bibliographie

Nom du projet : L'esclavage aux Antilles au XVIIIe "Pieds et mains liés" du lycée Emile Zola, 26 rue de Civry 28200 Châteaudun Tous les élèves de la classe de seconde 2 : Mauricio, Opale, Erwan, Aymen, Safa, Fiona, Leslie, Bintou, Eliott, Maelle D., Sude, Collins, Julien F., Iris, Eloi, Rachel, Ewen, Mélyss, Paul, Thaïs, Ilona, Elian, Anaïs, Aymar, Alizé, Maelle P., Yanis, Alexandre, Nolan, Julien R., Matheo, Ava, Myriam, Alice, Clémence et Ikrame. Leurs enseignantes Mesdames Sillon, Latournerie et Ducrocq. Un grand merci à la médiathèque de Châteaudun de nous avoir ouvert ses portes et d'avoir participé activement à ce beau projet. Un grand merci à Marie-Aude Murail que nous avons eu la chance de recevoir. Ses conseils et anecdotes ont été une aide précieuse dans le travail d'écriture.

1 an plus tard... Comme chaque matin, à l'aube, je me réveillai au son de la cloche. J'avais pris l'habitude ... mon corps ne ressentait plus la douleur. J'allai voir Makoya qui lui était déjà réveillé et qui m'attendait patiemment. Je le nourris, me préparai rapidement, accrochai mon enfant sur mon dos grâce à une large bande de tissu, puis sortis pour commencer mon travail. Makoya avait pris l'habitude de dormir ainsi sur moi en serrant un petit morceau de tissu que je lui avais donné.

...2 ans plus tard Je me levai au son de la cloche puis, j'allai réveiller Makoya qui dormait encore et lui fit avaler un peu de nourriture avant que l'on ne sortît. J'avais du mal à me mouvoir et il me semblait que j'avais désormais le corps d'une vieille femme. Il devenait difficile de travailler et de surveiller Makoya. Cela ralentissait la cadence au point que le contremaître intervint. Il menaça de me fouetter si je ne travaillais pas plus vite. Il menaça aussi de s'en prendre au petit. Alors que je m'efforçais d'occuper mon fils et de reprendre le travail, le maître arriva. Instinctivement je me mis devant mon petit garçon pour le protéger, pressentant le danger. Le maître se mit en colère, interprétant mon geste comme un acte de rébellion et me condamna à 50 coups de fouet, pour mon attitude et l'inefficacité de mon travail.

https://www.istockphoto.com/fr/photo/kente-tissu-traditionnel-d%C3%A9tail-du-grand-%C3%A9cran-plat-de-fronti%C3%A8re-gm172348832-4655347 Tissu ashanti Crédits : Alantobey Licence standard

Sources et droits des documents utilisés :

Bibliographie :

A bord d'un navire négrier, XVIIIe siècle p.19 Auteur : Lgraz73 https://www.youtube.com/watch?v=fvNkAceKUFs Creative commons Tous droits réservés un extrait de "Bélé, tambour vivant" p.31 Un film de Barbara Jean-Elie https://www.youtube.com/watch?v=XrbAyGRzp3c Creative commons La canne à sucre en Martinique p. 28 https://www.dailymotion.com/video/x85ehs3 Auteur : GEO Creative commons Tous droits réservés La colonisation des îles à sucre p. 56 https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/entendez-vous-l-eco/la-colonisation-des-iles-a-sucre-4753570 Licence non commerciale Tous droits réservés Tout contenu publié pourra être retiré sur demande de l'auteur.

Moi, Tituba sorcière de Maryse Condé Alma, le vent se lève de Timothée de Fombelle La Case de l'oncle Tom de Harriet Beecher-Stowe Bug-Jargal de Victor Hugo Tamango de Prosper Mérimée Amistad de Steven Spielberg L'esclavage raconté à ma fille de Christiane Taubira L'Histoire de l'esclavage et de la traite négrière, sous la direction de Marc Cheb Sun

Cela faisait six jours que je voyais cet enfant nager dans des vêtement bien trop grands pour lui et errer dans la grande plantation comme un fantôme. Il était arrivé ici suite à la mort de sa mère, rapportait-on, qui travaillait dans une plantation voisine. Le pauvre avait la peau sur les os et le regard vide. Il avait l'air perdu et déstabilisé par le monde chaotique qui l'entourait, tout autour de lui, des esclaves travaillant sans relâche dans les plantations . Il semblait de ne pas comprendre pourquoi il était là, dans cette nouvelle plantation où tout était différent pour lui, ni ce qui s'était passé pour qu'il en arrive là. Il n'osait pas travailler se mêler à nous, paralysé par la peur, et ne savait que faire dans ce nouvel environnement. Je décidai de partir le voir pour l'aider à s'intégrer et éviter qu'il ne se fasse punir : " Bonjour petit, ça fait plusieurs jours que tu es là, qui t'accompagne ?

- Bonjour monsieur, maman est partie. - Où est ta case ? - C'est quoi une case ? - C'est la maison où nous habitons. - Moi j'ai pas de case. - Alors viens te reposer dans la mienne, tu y seras accueilli, et on verra pour la suite." On continua à discuter longtemps, jusqu'au moment où un chef d'équipe nous demanda de nous remettre très vite au travail d'un ton menaçant et autoritaire. J'essayai de lui expliquer que le petit ne pouvait pas travailler mais le chef d'équipe ne voulait rien entendre, et nous ordonna alors de nous occuper des bêtes. Ce travail allant mieux avec les capacités de l'enfant, nous obéîmes et allâmes immédiatement voir les bêtes. Il s'occupait bien d'elles, il possédait un don. Pour le remercier de son aide, les autres esclaves le félicitèrent et lui donnèrent des vêtements coupés à sa taille. Ensuite nous rentrâmes à ma case quand le chef d'équipe nous arrêta :

regardant Makoya, même le petit !" Me dépêchant, je réveillai Makoya et le portai jusqu'à une clairère où tout le monde s'était rassemblé. Il sentait que quelque chose se passait : "Pourquoi on se dépêche ? me demanda-t-il. - Mouno s'est fait prendre à voler, il va être fouetté." Sa tête se décomposa pendant que nous arrivions derrière une foule criant de peur. J'essayai de me faufiler à travers cette mer d'hommes, et quand je me retrouvai bloqué, je demandai à mon voisin : "Comment l'ont-ils su ? - Son frère l'a dénoncé pour avoir donné sa nourriture à Makoya et non à lui." Surpris, je regardai Makoya mais, avant que je demande, il m'expliqua : "Mouno est venu une fois que tu t'es endormi et m'a donné de la nourriture. me dit-il, penaud." Makoya avait peur, il l'entendait et le voyait : le jeune voleur poussait des cris sous les coups de fouet.

violence qu'il n'entendait pas les cris de révoltes des autres esclaves qui hurlaient, qui s'époumonaient face aux maîtres qui eurent besoin d'une arme à feu pour les faire taire. Plus tard de retour dans ma case Makoya sortit un bout de tissu de sa poche. Il était marron avec des motifs géométriques d'un jaune et d'un blanc sales. Mais je me souvins immédiatement... sur le négrier j'avais vu un tissu semblable : c'était le vêtement de la femme de Kouassi ; la seule différence était la saleté maintenant présente. " Ce bout de tissu où l'as-tu eu? - Maman. - Elle s'appelait comment? - Asma, elle est morte, dit Makoya en pleurant. Je me décomposai. Ce petit bonhomme aux yeux plein de larmes et le nez couvert de morve, tant il avait pleuré, était le fils de Kouassi.

J'avais perdu la notion du temps. Tout ce qui m'importait était de savoir ma femme et mon fils en bonne santé. Les esprits me l'ont confirmé, c'est un petit garçon. Cela faisait maintenant quelques mois que nous nous trouvions sur ce bateau. Le ventre de ma femme s'était à peine arrondi. Les blancs ont eu des doutes mais nous avons prétexté que ce léger gonflement était dû à des douleurs intestinales. Il faut dire que les seules nourritures auxquelles nous avions le droit était une soupe de riz, de manioc et de fèves parfois avec un peu de poisson.

Là-haut mes cousins divertissaient les blancs en chantant, dansant et en tapant sur les tonneaux vides. Les blancs les fouettaient pour les "encourager". S'ils s'arrêtaient, ils risquaient d'êtres fouettés. Ils se passaient peut-être plusieurs heures avant qu'ils ne reviennent, épuisés, parfois presque morts. Une nuit la mer fut très agitée et le bateau tanguait, balançant nos corps meurtris d'un côté puis d'un autre. certains se mirent à vomir. Les corps sans vie étaient projetés sur les vivants, faisant sentir leur chair molle et glacée, parfois rongée. Cette vue était horrible, ma femme allait donner la vie et en face d'elle certains l'avait perdue.

A bord d'un navire négrier (XVIIIe siècle)

Auteur : Lgraz73 https://www.youtube.com/watch?v=fvNkAceKUFs Creative common

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