Le regard des autres

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Le soleil s'est couché depuis bien longtemps, et pourtant, le voici qui sort de chez lui. Alors je me dis que c'est quelque chose d'inhabituel. Les humains font tellement de vacarme le jour, qu'ils semblent oublier qu'ils ne sont pas seuls, et quand vient la nuit, lorsqu'ils sont tous assoupis, ils nous ignorent tout autant, nous les autres animaux qui vivons parmi eux. C'est une drôle de vie que mènent les humains. Mais le voici qui continue de s'éloigner de sa maison, et je vois bien, je vois bien qu'il est triste. Sur ses joues coulent des larmes que le clair de lune fait briller. Mais moi, j'éprouve la même indifférence à l'égard des humains qu'eux vis-à-vis de nous. Seulement... il m'intrigue, celui-là. Et tandis qu'il continue son chemin vers la forêt, vers moi, je l'observe. Il est vêtu de noir de la tête aux pieds. Et si les humains portent des chaussures, c'est pour ne pas toucher la terre, et s'ils couvrent leurs corps de vêtements, c'est pour ne pas sentir l'air frais.

 Ils repoussent la nature, mais pourtant celui-ci se rapproche de mon arbre, alors je guette. Et son regard me paraît aussi lourd que le sac sur son dos. Leurs contenus me sont inconnus. Il est différent. Alors je pousse un hululement dans la nuit, et sous le clair de lune ses yeux voient et se posent sur moi, pleins de curiosité et de peine, avant qu'il ne s'enfonce à nouveau dans la forêt.

Les textes qui suivent ont été écrits par quelques élèves de Première, dans le cadre de l'enseignement de spécialité HLP et plus précisément dans le cadre de la problématique "l'homme et l'animal". Ils sont un hommage au roman Anima écrit par Wajdi Mouawad et publié en 2012.

Tous les matins, du haut d’un arbre, comme je voyais cet homme se lever, je me suis demandé ce qu’il faisait de ses journées, alors je me suis décidé à le suivre. Je croyais qu’il partait loin, mais aussi long que le voyage paraissait, dans cet air rendu opaque par ces machines, qui se concentraient et se croisaient par endroit, le lieu où il s’est arrêté, était en fait proche de sa maison. L’homme est entré dans un haut bâtiment, et j’en ai fait le tour plusieurs fois, avant de le voir assis, à bouger rapidement ses doigts sur un petit espace. Je me suis posé sur une de ces longues choses résonnantes qui émettent de la lumière, et j’ai observé, j’ai attendu. Ses doigts bougeaient. Puis il s’est levé, a ouvert une porte, est revenu. Avec un ou deux autres humains, ils parlaient, puis l’homme que j’observais les a raccompagnés jusqu’à la porte, et est parti s’asseoir. Et ses doigts bougeaient à nouveau. Je me suis endormi devant cette scène trop répétitive, et j’ai été réveillé par le bruit de l’automate, j’ai donc volé pour le suivre, et je l’ai vu rentrer chez lui. Il n’est pas sorti de la soirée. Je pensais que les humains se servaient plus de leurs capacités.

Pholcus phalangioides

&nbsp;&nbsp;Pendue à mon fil, je l’observais. Il s’est approché de moi, a pris un vieux livre poussiéreux se trouvant près de moi et a détruit une partie de mon dur labeur. Il s’est assis sur un fauteuil et a ouvert le livre ; son regard semble s’être perdu dans les pages jaunies de celui-ci. Je le voyais tourner les pages à un rythme très lent. Je l’observais et le voyais fatigué. Je l’observais somnoler. Je l’observais dormir. Il semblait à présent inanimé. Pendant qu’il dormait, j’ai reconstruit ce qu’il a détruit de mon piège redoutable. Quelques proies sont restées coincées dessus. Je me suis emparé de l’une d’entre elles à l’aide de mes huit pattes velues et lui ai injecté des enzymes pour faciliter son absorption. Je voyais le livre qui était encore entre les mains de celui qui le tenait glisser pour finalement tomber au sol. Il est encore endormi. Parfois lorsqu’il faisait tomber quelque chose, il sursautait, mais cette fois ci, il est resté dans un sommeil profond. J’ai cessé de le regarder et lorsque je l’ai observé à nouveau, je l’ai vu éveillé.

J'étais là. Assis. Depuis quelques minutes, peut-être trois, ou peut-être quatre. Même cinq. Je le regardais, et je le regarde encore. Une dizaine de mètres seulement nous sépare, mais je reste immobile, toujours caché derrière une souche en bois foncé recouverte de feuillages de toutes sortes. Je sais qu'il ne me voit pas, mais je sais qu'il me cherche. Il est à l’affût, tout comme moi, mais je sais que nos intentions sont particulièrement différentes. A la vue de ses bottes en caoutchouc, à la vue de son épais manteau marron, à la vue de son solide fusil, je le sais. Mais je ne m'enfuis pas, je reste assis là, à le regarder, à le contempler. Quelque chose en lui m'intrigue, mais surtout m'appelle. Je me trompe peut-être, pourtant, je suis toujours là. Je n'ai pas peur, comme à mon habitude dans ces moments-là, je ne ressens ni colère ni haine envers celui qui va sans doute m'ôter la vie s'il me voyait ne serait-ce qu'un seul instant. Je me trompe peut-être. 

J'ai envie d'aller le voir, j'ai envie de satisfaire ma curiosité oppressante, j'ai envie de le comprendre, j'ai envie d'un ami. Je commence à bouger ma patte gauche, endolorie. Je sais que c'est risqué. Soudain, il regarde dans ma direction, le fusil sur son épaule. Je me suis trompé. Je sens quelqu'un d'autre arriver. Sans doute un compagnon de chasse. Il m'a vu lui aussi et brandit son fusil. Je sors de ma cachette et je cours aussi vite que mon corps le permet, mais je n'entends aucun tir. Je m'arrête, je me retourne et je le vois. Je vois l'homme pour lequel mes émotions se sont perturbées. Je le vois, et je l'entends prononcer&nbsp;: «&nbsp;Laisse-le. Laisse-le partir.&nbsp;». Je sais que cet acte doit être rarissime, mais je sais qu'aujourd'hui, je ne me suis pas trompé. Je le regarde encore une dernière fois, les yeux dans les yeux, puis je m'enfuis.

Enfin tranquille, les rues sont désertes ! Je ne sais pas vraiment pourquoi mais depuis quelques semaines, les géants ne sortent plus beaucoup de chez eux. Je peux donc facilement me balader sans avoir peur en permanence d’un monstrueux pied inattentif. Fini de devoir courir en risquant sa vie à chaque seconde pour aller chercher de quoi se mettre sous la mandibule ! Avec mes frères et sœurs nous profitons de ce moment de répit pour aller chercher des provisions pour la colonie, en espérant que ces barbares hauts comme des arbres ne reviendront pas de si tôt !&nbsp;

A travers les parois de verres, mes yeux semi-clos et mon long corps enroulé tout autour de la branche, je sors de mon sommeil suite aux vibrations incessantes de ces mains contre les vitres. Je glisse de mon repère, rampe vers l’appel, mes écailles d’un vert luisant s’illuminent au reflet de la lumière artificielle.&nbsp;Presque arrivé jusqu’au vacarme, j’ondule sur le sol synthétique et fait claquer ma langue ce qui fait fuir les plus petits d’entre eux. A l’extérieur de ma cage, de nombreuses personnes se réunissent pour m’observer. Sur le côté gauche de la cloison se tient un homme. Sa posture droite et la tête haute, il semble captivé par ce qui l’entoure et m’examine. A travers ces yeux brillants, je distingue mon reflet ainsi qu’une certaine admiration. Sa tête fait alors un mouvement de rotation jusqu’à la pancarte d’informations. Celle-ci le renseigne sur ma nature et ma rareté. Son regard dévie vers moi une dernière fois, l’admiration laissant place au regret. Enfin d’un pas décidé, il part en direction de l’enclos des tortues.&nbsp;

Si seulement je sortais d’ici. Je souhaite une seule chose, me glisser en direction de la sortie. Ah&nbsp;! Saligaud&nbsp;! Si seulement je n’étais pas coincé dans son enlacement&nbsp;! J’essaie de le blesser, d’enfoncer mes crochets dans sa chair, sans résultats. Il me saisit de telle sorte que je ne puisse lui faire aucun supplice. L’humain est lucide. Il s’amuse avec ma personne. J’essaie de le serrer, l’asphyxier, le supprimer… mais sans résultat. Je suis impuissant, tout simplement impuissant. Je me glisse sur ses doigts, son cou, son corps, serpente les ondulations de sa peau, siffle à son oreille. Ainsi collé à sa personne, je ressens chaque palpitation de son cœur, chacune de ses pensées. &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;L’humain me saisit vigoureusement puis me dépose dans ma maison. Ah&nbsp;! Saligaud&nbsp;! Toutes mes chances sont dissoutes&nbsp;! Je ne supporte plus cette vie que je subis. Comme je songe à la sortie, l’humain me scrute d’un sourire sadique.

Je le siffle sauvagement mais ne lui soutire qu’un sournois rire. «&nbsp;Alors Charles&nbsp;? On n’aime plus son maître&nbsp;?&nbsp;» l’aperçois-je me sourire au prénasal. Ah&nbsp;! Comme il me tracasse&nbsp;! Je le dévisage mauvaisement mais il s’éloigne, en prenant soin d’adoucir l’éclaircissement de son studio. Je suis encore dans les ténèbres, cadenassé dans une cellule, une bête en cage rêvant d’affranchissement mais dont le seul droit est la souffrance.

Une nouvelle journée vient de commencer, mon soigneur toujours ponctuel me réveille par un bonjour respectueux. Il ouvre la cage dans laquelle je passe mes nuits pour que j’aille dans le parc qui m’est attribué. Mais aujourd’hui, il n’est pas comme d’habitude, son sourire quotidien n’est pas présent, son regard n’est plus le même. Il a l’air inquiet et me scrute méticuleusement. En effet, hier, après un saut entre les branches des arbres, je suis tombé et maintenant je boite. Ma démarche semble le préoccuper. Je ne suis pas qu’un travail pour lui, il y a une relation fusionnelle entre nous. J’ai l’impression d’être de sa famille. Il est comme un père avec son enfant. Plein d’attention et aux petits soins. Mes pas l’interrogent, suis-je blessé&nbsp;? Quelques minutes suffissent à le rassurer. En m’auscultant il se rend compte rapidement que ce&nbsp;n’est rien de grave. Je vois dans l’expression de son regard toute l’attention qu’il me porte. Oui, je marche normalement sans aucune séquelle de ma mésaventure. Son large sourire qui s’étend sur son visage est de retour, il me fait d’ailleurs prendre conscience de l’amour qu’il me porte.

Homo sapiens scriptor

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