Des morts bien naturelles

by Bernard MARSIGNY

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BERNARD MARSIGNY
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DES MORTS
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BIEN NATURELLES
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Monsieur le Maire de Saint-Etienne de Chigny,

Vous avez eu l’an passé la douleur de perdre coup sur coup trois de vos
sympathiques concitoyens.
Je dois vous avouer tout de suite que je les ai un peu aidés dans cette démarche. J’avais pour cela de très solides raisons que je vous exposerai en temps voulu.

Mais commençons par mon installation dans votre village.
Lorsqu’on débarque, Monsieur Le Maire, dans un village aussi charmant que le vôtre, la première chose à faire est de se fondre dans la population locale. Je me suis donc fondu avec application. J’ai pris ma carte à l’Association Communale de Chasse Agréée et ai rejoint tous ces nobles « Rambo » du dimanche, dont le niveau mental se situe en règle générale en dessous de la cartouchière.

Je me suis fait un devoir de participer à toutes les battues, avec la ferme intention de ne rien tuer d’autre, pour l’instant, que le temps. Car, Monsieur le Maire, si je suis un assassin, je ne serai jamais un tueur. Le tueur tue par plaisir, alors que l’assassin assassine par nécessité. J’en sais quelque chose. Et je tiens à ce qu’il n’y ait pas de confusion sur ce point.
Jugeant m’être suffisamment « fondu », il était temps pour moi de penser aux choses sérieuses. Trois meurtres à réaliser demandent un minimum de préparation et de doigté.

La première sur ma liste - honneur aux dames !- a été Berthe Meunier. Elle fut pour ainsi dire une sorte de mise en bouche, un tour de chauffe avant de passer aux deux suivants. J’ai longtemps hésité sur la façon de la trucider. Lorsque j’étais arrivé à Saint- Etienne et que je cherchais où me loger, on m’avait envoyé chez la Dame Meunier. Le hasard fait bien les choses ! Elle avait consenti à me louer une petite baraque mitoyenne
à la sienne, un peu à l’écart du village. Ce voisinage allait la mettre, sans qu’elle s’en doute, à ma portée. De son côté, elle avait vite compris que j’étais une véritable aubaine.
Je me suis fait un devoir de participer à toutes les battues, avec la ferme intention de ne rien tuer d’autre, pour l’instant, que le temps.
Car, Monsieur le Maire, si je suis un assassin, je ne serai jamais un tueur. Le tueur tue par plaisir, alors que l’assassin assassine par nécessité. J’en sais quelque chose. Et je tiens à ce qu’il n’y ait pas de confusion sur ce point.
Etant donné que pour aller faire les commissions je devais passer devant chez elle, elle avait pris l’habitude, mine de rien, de guetter ma 2CV. Elle me demandait à chaque fois de lui rapporter son pain, sa viande et parfois ses médicaments. Une certaine intimité s’instaura entre nous. Parfois elle prenait place d’autorité à côté de moi pour descendre chez son médecin à Langeais Je devins très vite indispensable et corvéable de mon plein gré.
-Monte, ma grande, monte, me disais-je, un jour viendra... !
En ce qui la concernait, j’avais tout d’abord pensé la balancer dans le puits de sa cour.
J’ai pesé le pour et le contre. Le contre l’a emporté.
Elle ne pouvait pas logiquement y basculer d’elle-même. La margelle était trop haute. Ce n’était pas crédible. Il convenait d’être prudent. J’ai attendu. C’est en entrant un matin dans sa cuisine que j’ai eu soudain l’inspiration. Elle préparait des bolets. Le bolet coupé très mince et revenu dans l’huile chaude, c’est excellent. Et puis ce n’est pas toxique du tout. Mais ça peut le devenir si, par inadvertance, se mêle à la prochaine récolte quelques morceaux d’un
champignon toxique. Une toute jeune amanite phalloïde peut très bien se confondre avec un jeune cèpe à peine sorti de terre. L’erreur après tout est humaine et excusable, surtout de la part d’une vieille dame dont la vue baisse de plus en plus. C’est ainsi que notre pauvre Berthe nous a quittés par un triste jour d’automne.
Son frère n’a jamais compris comment « sa conne de sœur avait bien pu se tromper à ce point ! » Ce n’était pas à moi de lui expliquer !
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