Le peintre oublié

by Julien VILLEFORT

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Julien VILLEFORT
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Le peintre oublié
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Dominique soupira en contemplant la pluie qui ruisselait sur les vitres. La guigne d’avoir choisi le Val de Loire pour leurs vacances d’été et d’être assaillies par les averses. Si seulement Michèle n’avait été aussi désireuse de parcourir à nouveau les travées des églises ligériennes pour les besoins de La Revue de l’Art… Ses lecteurs se passionneraient-ils pour la mosaïque de Germigny-des-Prés ou les colonnes de Saint-Carad’heuc ? Sans doute autant que Michèle... Dominique jeta un œil en direction de sa compagne, occupée à peindre une vue nouvelle de Chenonceau d’après photographie. Comme il lui était facile d’occuper ses fins d’après-midi pluvieuses ! Elle-même, avec son légendaire esprit pratique, avait dédié sa muse à la harpe, instrument divin et sensuel, hélas intransportable. Si elle avait su, elle aurait opté pour les castagnettes. En attendant l’heure du dîner, elle s’empara d’Ouest-France
Michèle esquissa un sourire tendre en rectifiant l’ombre d’une arche. Elle avait observé du coin de l’œil les émotions traverser le visage de Dominique. Elle s’ennuyait, la pauvre chérie. Être enfermée dans ce gîte sans autre horizon qu’une pelouse détrempée était pour elle un purgatoire. Michèle, en revanche, appréciait ces moments suspendus. Elle y trouvait une pause bienvenue, après des mois éreintants à diriger La Revue de l’Art. Bien qu’il s’agisse en réalité de vacances studieuses, puisqu’elle planifiait un superbe numéro de rentrée sur le patrimoine religieux du Val de Loire. L’agréable joint à l’utile. Elle reprit sa peinture et se rasséréna en voyant sa conjointe plongée dans son journal. 
L’attention de Dominique était en effet captée par un article aussi curieux qu’interpellant : « Vols en série dans les musées du Val de Loire ». 
Selon le journaliste, un insaisissable monte-en-l’air s’en prenait aux institutions locales. Ses particularités étaient sa souplesse, car il se faufilait par des espaces étroits au possible avec une préférence marquée pour les soupiraux, et son goût affirmé pour le peintre Marcel Dechamps, dont il dérobait les toiles avec une constance inédite. Dominique relut le nom de l’artiste à plusieurs reprises sans parvenir à l’identifier. Éclipsé par son quasi homonyme, Marcel Dechamps avait chu dans l’angle mort de l’histoire de l’art. L’article indiquait qu’il avait rencontré une notoriété locale dans les années d’après-guerre en peignant paysages et paysans ligériens dans un pur style naturaliste. Dominique fronça les sourcils. C’était là se donner bien du mal pour un peintre oublié. Elle replia le journal et s’en alla préparer le dîner. 
Juste avant de s’endormir, Michèle eut une idée : et si elle écrivait un article sur Marcel Dechamps ? Cela compléterait son dossier d’une note piquante. Non pas que les lecteurs de La Revue de l’Art réclamassent des faits divers, mais il y avait dans cette histoire une conjonction intéressante d’éléments : un artiste ignoré, des tableaux volés, un décor très français et une once de mystère qui sied si bien à l’histoire de l’art. Première étape : relire sur Internet les articles déjà publiés sur ces cambriolages et établir une fiche biographique de Dechamps. L’idéal serait de disposer d’une liste complète de ses œuvres, ainsi que de quelques critiques parues à l’époque. Il leur faudrait certainement se rendre à la bibliothèque de Tours pour y exhumer l’un ou l’autre ouvrage susceptible de les éclairer sur la carrière du peintre, puis consulter des miscellanées locales. Elle en profiterait pour revisiter Saint-Julien et Saint-Saturnin.
À ses côtés, Dominique dormait déjà. Elle n’aurait aucun mal à la convaincre. 
Le lendemain matin, le soleil brillait à nouveau sur le Val de Loire et Dominique, qui s’était levée tôt, s’accorda une première promenade en solitaire. La végétation était encore détrempée, l’air doux, la campagne silencieuse. Dominique savoura l’instant. Elle s’arrêta devant une charmante maisonnette, si typique, si… À vrai dire, à seconde vue, ladite maisonnette aurait eu bien besoin d’une restauration. Sa peinture s’écaillait, des tuiles manquaient. Dominique supputa la probabilité d’un achat sur un coup de tête et d’une retraite au vert. Pas certain que cela plaise à Michèle. La porte des lieux s’ouvrit soudain et une jeune femme blonde à la beauté si saisissante que Dominique en oublia de la saluer, en sortit. 
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